Tout a été dit, est dit, sera dit à propos de ces dernières élections européennes. Laissons les uns savourer leur triomphe, laissons les autres s’interroger sur leur défaite ou disserter sur la nature sismique du vote du 25 mai. Intéressons-nous un instant à une nouveauté passée inaperçue, parce qu’introduite très discrètement à l’occasion de ces élections : les tableaux des résultats électoraux présentent désormais une ligne supplémentaire : celle portant le décompte des votes blancs.
Jusqu’ici, il n’existait, on s’en souvient, qu’une seule ligne mêlant « bulletins blancs et nuls ». Au-dessous apparaissent les suffrages exprimés. On disait autrefois « suffrages valablement exprimés », l’adverbe a disparu.
Depuis longtemps, de nombreuses voix s’élèvent pour affirmer qu’un vote blanc est valablement exprimé, et pour refuser d’assimiler le vote blanc au vote nul, ce dernier pouvant résulter soit de la maladresse de l’électeur soit de sa volonté de ne pas se soumettre aux règles régissant le scrutin. Le vote blanc, lui, permet au citoyen d’exercer son droit de vote, à la différence de l’abstention ; il permet d’exprimer – alors que l’abstentionniste ne s’exprime pas – son désaccord avec les propositions politiques qui lui sont faites, dans le cas d’un référendum, ou son rejet des candidats aux élections.
L’absence de distinction, dans le code électoral, entre bulletins blancs et bulletins nuls pouvait être même ressentie comme vexatoire par les électeurs ayant choisi de voter blanc. C’est pourquoi de nombreuses propositions de lois ont été déposées au fil des ans en faveur de la reconnaissance du vote blanc. La plus remarquable date de décembre 2002 : déposée par le groupe UDF, elle avait été modifiée, à l’initiative de la commission des Lois, pour exclure la prise en compte des bulletins blancs dans la détermination des suffrages exprimés. Le texte finalement adopté par l’Assemblée nationale disposait : « Les bulletins blancs sont décomptés séparément et annexés au procès-verbal. Ils n’entrent pas en compte pour la détermination des suffrages exprimés, mais il en est fait mention dans les résultats des scrutins ». Or, ce texte, adopté par l’Assemblée, ne fut jamais inscrit à l’ordre du jour du Sénat, aussi fut-il enfoui dans les archives parlementaires…
Plusieurs propositions de lois identiques furent ensuite déposées sur le bureau de cette assemblée, mais aucune ne fut inscrite à l’ordre du jour en vue d’une discussion.
En 2012, une nouvelle proposition de loi
Ce n’est que dix ans plus tard, en novembre 2012, que l’Assemblée nationale fut amenée à discuter d’une nouvelle proposition de loi émanant du groupe UDI, prévoyant la reconnaissance du vote blanc aux élections et votations. Cette fois encore, dans la version initiale, le vote blanc devait faire partie des suffrages exprimés.
Or, cette prise en compte se heurte à une difficulté arithmétique et politique : le décompte des blancs fait diminuer les résultats des candidats ; lors des élections à deux tours, la majorité absolue de 50% est plus difficile à atteindre au premier tour par le candidat en tête, en raison de ce « candidat » supplémentaire qu’est le vote blanc. Et quand bien même il serait élu, ce candidat arrivé en tête, il le serait avec un pourcentage inférieur. C’est dire que les partis politiques ne peuvent être franchement favorables à une disposition aussi réductrice !
Cette difficulté devient majeure dans le cadre de l’élection de président de la République : souvenons-nous qu’en 1995, Jacques Chirac avait été élu avec 52,6 % des suffrages exprimés, mais sans obtenir la majorité absolue des votants, n’atteignant que 49,5 %, et ce en raison du haut niveau des bulletins blancs et nuls. Scénario identique lors de la dernière élection présidentielle, en mai 2012, puisque les votes blancs et nuls ont atteint 5,82 % des votants, aboutissant à ce que le nouveau président de la République fût élu sans réunir la majorité absolue des votants : seulement 48,6 % des citoyens ayant déposé un bulletin dans l’urne ont choisi M. François Hollande – qui a, en revanche, obtenu 51,6 % des suffrages exprimés.
Or l’article 7 de la Constitution de 1958 dispose clairement que « le Président de la République est élu à la majorité absolue des suffrages exprimés ». Phénomène peu probable au premier tour, mais quasi certain au second tour puisqu’il ne reste que deux candidats en lice. Si le Parlement décidait d’intégrer le vote blanc dans les suffrages exprimés, le risque que cet objectif ne puisse pas être atteint au second tour serait réel. Il faudrait donc qu’une éventuelle révision constitutionnelle modifie cet article pour prévoir que le président de la République ne sera élu qu’à une majorité relative, et non plus absolue. Mais, cela n’a pas échappé à nos politiques, une telle réforme fragiliserait du même coup la légitimité du candidat élu à la présidence avec un pourcentage de voix éventuellement inférieur à 50. Effet psychologique désastreux, à éviter absolument.
Ainsi, ce qui devait arriver arriva : le texte de 2012/2013 fut amendé à l’image de celui de 2002, et si l’existence propre des blancs est désormais reconnue, il n’est toujours pas question de les inclure dans les suffrages exprimés[]. Dans cette configuration… également très réductrice, la proposition n’eut pas de mal à être adoptée, quoiqu’une navette parlementaire assez lente et la « non-urgence » du sujet ne lui permirent d’être adoptée qu’en février 2014 !… pour une entrée en vigueur le 1er avril 2014 – afin de sauter par-dessus les élections municipales de mars. Ce sont donc les élections européennes qui ont inauguré cette nouveauté électorale.
Voici l’essentiel du texte de loi : « Les bulletins blancs sont décomptés séparément et annexés au procès-verbal. Ils n’entrent pas en compte pour la détermination des suffrages exprimés, mais il en est fait spécialement mention dans les résultats des scrutins. Une enveloppe ne contenant aucun bulletin est assimilée à un bulletin blanc. »
Cette dernière phrase a son importance, car le ministère de l’intérieur n’entend pas fournir des bulletins blancs que l’on disposerait à côté des bulletins des candidats. Donc, soit vous confectionnez votre propre bulletin blanc, soit, plus facilement, vous ne mettez rien dans l’enveloppe.
La loi marque un progrès, mais de faible portée. L’anomalie demeure : une ligne pour les « nuls », une ligne pour les « blancs » et, une fois éliminées ces deux bizarreries considérées comme quantité négligeable, arrive enfin la ligne noble des suffrages « exprimés ». Pour les blancs, c’est toute la distinction entre « prise en compte » et « prise en considération » !