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La paix liturgique selon François

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La paix liturgique selon François

Le 16 juillet, jour où l’Église universelle fait mémoire de Notre-Dame du Carmel, le pape nous gratifiait d’un nouveau Motu Proprio , Traditionis custodes, accompagné d’une lettre destinée en priorité aux évêques, pour abroger un autre Motu Proprio , celui de Benoît XVI, Summorum pontificum. Ce dernier avait grandement contribué à apaiser les esprits engagés, depuis les réformes de l’après-concile du rite romain, dans ce qu’on a pu appeler la guerre liturgique, guerre dont la France fut l’un des théâtres majeurs. Summorum pontificum avait permis non seulement cette pacification mais aussi, pour beaucoup, la découverte ou la redécouverte de l’héritage multiséculaire de la liturgie romaine. Mais voilà, il était à craindre que la consultation universelle des évêques sur la mise en œuvre du Motu Proprio de Benoît XVI ne conduise finalement à son abrogation. Je ne reviendrai pas sur les résultats français de cette consultation ayant déjà consacré un article au sujet, je m’attacherai à analyser le fait même de sa récente abrogation.
Disons-le d’emblée, Traditionis custodes est, du point de vue de la paix liturgique, une régression considérable : non seulement il fait fi de toutes les avancées permises par Summorum pontificum, ne voulant sciemment ne considérer que les points négatifs, mais il nous reporte un peu avant le temps où Jean-Paul II libéralisait prudemment, en 1988, la célébration dans le rite ancien, c’est dire ! Certains pourront voir dans les nouvelles dispositions une espèce de clarification d’une situation complexe voire confuse et d’autres, enfin, y verrons – Dieu sait comment – un rétablissement de la juste intention de Benoît XVI. Bref, comme à chaque fois, toutes les opinions se pressent au chevet du texte pontifical.

Deux papes, deux styles

S’il répugne au sens catholique de comparer deux papes, et plus encore quand ils sont vivants tous les deux, c’est le pape François lui-même, par des agissements difficilement discernables et des documents marqués d’un certain autoritarisme, qui, sans cesse, et depuis le début de son pontificat, nous conduit à cette comparaison. Je dois avouer avoir un mal considérable à souscrire à la thèse de la continuité entre les deux pontificats. Il suffit de lire les deux lettres accompagnant les Motu Proprio pour se rendre compte que non seulement le ton n’est pas le même mais qu’aussi la sensibilité – ce qui est la moindre chose – et les perspectives ecclésiologiques diffèrent. Je crois même pouvoir dire que les sources d’inspirations sont théologiquement très divergeantes. Je me pose la question de savoir comment il est possible, le pape Benoît étant encore vivant, d’abroger sans état d’âme et avec une certaine injustice une disposition qui manifestait un réel souci de charité et d’unité du corps ecclésial ? C’est pour le moins indélicat. Il n’y avait, en effet, aucune urgence à abroger ce texte et ce même si des problèmes étaient avérés. L’état de la chose n’était pas tel qu’il fallait, toutes affaires cessantes – en pleine convalescence – un jour dédié à la Vierge Marie, jeter ce pavé dans une mare qui risquait bien de faire des vagues. Non seulement, une indélicatesse mais aussi un manque de psychologie. À moins que le pape ne sache très bien ce qu’il fait. La chose serait alors pire que ce qu’elle n’est déjà.
Il y a certes des problèmes du côté des “communautés” traditionnalistes, certains mineurs et d’autres majeurs. Du côté des mineurs : un certain esthétisme, un attachement excessif et maniaque aux formes (par exemple, les dentelles et les chasubles de formes dite “romaine”, comme si célébrer sans dentelles ou en chasuble dite “gothique” rendait le rite antique invalide), prédication “vintage” non seulement dans le fond mais dans les formes, remise en question de certaines parties du concile Vatican II (mais pas chez tous, loin de là ; et pas de tout le concile, si ce n’est chez les intégristes, qui ne se sentaient pas concernés par Summorum pontificum d’ailleurs), etc. Du côté des majeurs : les célébrations dans l’ex-forme extraordinaire, puisqu’elles n’étaient pas la règle ordinaire usitée par la majorité, avaient tendance à attirer un certain public présentant les mêmes traits psychologiques ou une certaine vision ecclésiologique. Mais, et j’en suis témoin, la chose allait en se diversifiant, l’on commençait à voir une plus grande hétérogénéité de sensibilités et de milieux. Certains même pouvaient naviguer entre les deux formes sans trop de problèmes et acceptaient tout à fait l’ecclésiologie conciliaire.

Pluralité ou uniformité de rites ?

Enfin, et c’est un autre problème majeur, d’un point de vue strictement litugique, l’existence de plus en plus étendue de groupes utilisant les livres liturgiques de 1962 posait la difficulté de la coexistence de deux lectionnaires, de deux temporaux et sanctoraux. La solution, à long terme, aurait été soit dans une réforme des livres de 1962 – travail titanesque – soit dans l’entérinement des deux rites au sein de l’Église latine, ce qui aurait été une hasardeux. C’est sans doute cette perspective, et tout ce que cela présupposerait du point de vue de la théologie, et de l’ecclésiologie en particulier, qui a contribué au coup d’arrêt brutal de l’expérience Summorum pontificum.
Pour la première fois, donc, depuis la promulgation du missel du Novus Ordo Missae en 1972, nous sommes en présence de l’affirmation presque explicite de la validité du seul rite romain réformé. Si, en effet, l’histoire des rites litugiques en Occident est allée dans le sens d’une unité toujours plus grande et d’une exclusivité toujours plus étendue du rite romain, certains ordres ou certains diocèses avaient conservés jusqu’au concile Vatican II une forme propre de célébrer avec tout ce qui y est inhérent. Ce n’est qu’après le concile, au prétexte des réformes demandées par celui-ci, sans préciser lesquelles d’ailleurs – ce que le pape semble oublier, on dirait – que les Carmes, les Dominicains, les Franciscains (il y avait moins de différences à dire vrai entre ces rites mendiants et le rite romain qu’entre les deux formes du rite romain), les diocèses de Lyon, de Milan, de Tolède ou de Braga, renoncèrent à leur rite propre pour adopter presque exclusivement le rite romain réformé. Celui-ci pourtant ne réussit pas à s’étendre sans difficultés à l’Église universelle. Il faut dire que déjà à l’époque un certain autoritarisme, des abus multiples , une liquidation expéditive de ce que la lenteur des siècles avait construit, ne contribuèrent pas à l’acceptation paisible et intelligente du nouveau missel. Celui-ci est d’ailleurs encore en train de se perfectionner puisqu’une nouvelle traduction rentrera en usage au prochain Avent.
Benoît XVI, voyant très bien le problème, tenta une nouveauté. Puisque l’ancien missel promulgé par Pie V et réformé en dernier lieu par Jean XXIII n’avait pas été de facto abrogé, il pouvait donc être utilisé comme un livre valide et légitime puisque appartenant à l’Église. Pour ne pas nuire à l’unité liturgique et ecclésiologique, le pape Benoît XVI refusa de parler de deux rites romains mais utilisa la notion de forme : une ordinaire, la lex orandi commune, habituelle, majoritaire, et une extraordinaire, la lex orandi particulière à certains lieux ou groupes ; la première s’inscrivant dans la théologie mise en lumière par le concile Vatican II et la seconde dans celle du concile de Trente, qui reste un concile orthodoxe, faut-il le dire ? C’est de cette façon large, pondérée, juste et impliquant une réflexion théologique profonde, que le pape envisageait l’unité dans la diversité en misant sur l’avenir et, sans doute, en espérant que les deux formes puissent s’influencer ou respirer ensemble.
Il aurait été bon que la forme héritée du concile de Trente puisse, pour celle advenue après le concile Vatican II, servir à celébrer selon l’esprit voulu par ledit concile et dans la parfaite ligne catholique. Car si les communautés traditionnelles connaissent leurs problèmes, les paroisses ou les communautés non traditonnelles connaissent les leurs : laideur des formes, improvistions litugiques, messes-shows, messes bavardes, messes spécialisées (des jeunes, des vieux, des mamans, des roux, des aveugles et des boiteux), sans parler des approximations dogmatiques ou, et j’en suis le témoin, des parfaites hérésies. Mais, apparemment, tout cela ne repésente aucun danger pour l’unité du corps mystique qu’est l’Église. Et de fait, tous les fauteurs d’abus litugiques dans le rite romain réformé – abus si nombreux que le rite romain est pluriel, finalement – se réclament tous du sacro-saint concile Vatican II, de son esprit du moins, car pour ce qui est des textes, c’est une autre histoire.

Guerre liturgique ou rupture sacrée ?

L’unité liturgique est certes une chose bonne et désirable mais elle n’est pas nécessaire. Pour preuve, il fut un temps, donc, où il y avait une diversité liturgique. Mais ce temps-là est révolu. Le récent Motu Proprio fait voler en éclat la théorie des deux formes du rite romain et affirme avec une expèce de suffisance l’unique légitimité du rite romain issu des réformes entreprises après le concile. Et contrairement à ce que dit François, les différences entre les deux sont plus que notables : il ne suffit pas d’utiliser le canon romain (prière eucharistique 1) pour avoir, comme par enchantement, la messe tridentine… Mais on savait le pape piètre liturge. On a l’impression que la nouvelle théorie, implicite, est que l’édition du missel de Paul VI a de fait rendu caduc et abrogé celui de Pie V, que ce missel n’est donc plus, de facto, celui de la lex orandi, parce que finalement quelque chose de la lex credendi a changé. En conséquence donc, l’usage des livres de 1962, s’il peut être toléré, pour quelques irréductibles – mauvais catholiques ou catholiques sur la tangente ? – doit être très limité, encadré et surveillé et, de plus, des autorisations multiples doivent être demandées et accordées au cas par cas, les unes par les évêques, les autres par le Vatican ! La volonté nette est de rendre moins visible le rite ancien, de le vieillir toujours plus, d’en faire une curiosité de musée ou de conservatoire, avant qu’il ne devienne un souvenir. Nous sommes aux antipodes de ce que voulait Benoît XVI et du pari théologique, sans doute idéaliste, qu’il faisait sur le temps et le dialogue.
On a la sensation que Traditionis custodes renoue en quelque sorte avec le paradigme clérical des années 70-80 de détestation de tout ce qui était d’avant le concile et de réception de celui-ci comme une révolution, une rupture. Les années Jean-Paul II et Benoît XVI avaient tenté de colmater la fissure, de donner à voir une continuité : le beau et majesteux déploiement de la tradition toujours identique à elle-même et se renouvelant sans cesse. Par plus d’un aspect, le pontificat de François se rattache au même modèle de la rupture et il n’a – dévotion populaire exceptée – aucun goût ni aucune sympathie pour les formes ecclésiales d’avant le concile. Ces formes, d’ailleurs, ne seraient pas aussi anodines que cela puisqu’elles renverraient à une ecclésiologie différenciée et remise en cause par le concile Vatican II. Telle quelle, cette proposition est théologiquement audacieuse.
Toujours est-il que si les communautés traditionnelles ne représentent qu’une petite partie de l’Église, elles manifestent une vraie vivacité. On ne peut hélas pas en dire autant, en Europe en tout cas, des paroisses classiques où pourtant tout a été tenté : messe avec batteries, guitares, tambours et trompettes, dépoussièrage des rites, etc.
De quoi a-t-on peur alors ? D’un pullulement de communautés traditionnelles ? D’une restauration catholique ? D’une remise en cause absolue ou relative du concile ? D’un schisme ? Dans ce cas, on s’inquiète beaucoup moins des menaces, bien réelles celles-là, d’une rupture allemande. Non, la peur que le texte pointe du doigt est la coexistence de deux visions de l’Église ! L’une réputée orthodoxe, légitime, synodale – celle voulue par le dernier concile, et l’autre illégitime, tronquée, rétrograde, incomplète voire sentant désormais un peu l’hérésie – celle qui avait cours avant le concile et que les livres liturgiques de 1962 soutiendraient. Tout le problème au fond est là.
Somme toute, et pour finir, il est étrange d’œuvrer à l’unité par un texte qui rallume le feu d’une guerre dont on croyait – illusoirement – avoir conclu un armistice. Il nous faut cependant recevoir le nouveau Motu Proprio en catholiques loyaux et filiaux, œuvrant à la paix et au respect des livres liturgiques en vigueur dans le plein, parfait et véritable esprit de la liturgie qui ne date ni de 1962, ni de 1972, ni du 16 juillet 2021.

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