Civilisation
Vauban pour toujours
1692, le duc de Savoie franchit le col de Vars, emporte Embrun, puis Gap. Louis XIV demande à Vauban de fortifier le Queyras.
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Le Canada devrait son nom à l’un des premiers explorateurs espagnols qui, remontant au nord des colonies méso-américaines vers 1500 et ne trouvant pas de métaux précieux, envoya un rapport à la reine Jeanne de Castille en notant : « ici, rien » – en espagnol : aca, nada.
Le récit que nous livre Daniel de Montplaisir parcourt depuis la préhistoire jusqu’à nos jours les étapes de la formation de cette grande nation, européenne par sa mémoire, ses références culturelles, ses options politiques et sociales, et objectivement américaine, par sa situation géopolitique et ses premières racines autochtones.
Comme coulent les eaux des fleuves descendant à travers les Grands Lacs et les vastes espaces sauvages jusqu’à la mer, c’est en suivant une chronologie foisonnante que l’auteur nous transporte, avec une érudition jamais pédante, et nous raconte l’enchaînement des évènements qui ont engendré le Canada. Au rebours du déterminisme ou d’un quelconque sens de l’Histoire, nous voyons l’œuvre des hommes, leurs avancées plus ou moins planifiées, leurs contradictions, les péripéties peu prévisibles.
Daniel de Montplaisir a exercé ses talents comme administrateur de l’Assemblée Nationale et comme directeur du Syndicat de la Presse Régionale. Il a planté son tipi depuis une dizaine d’années à Québec, et ne fait pas mystère de son attachement à des valeurs traditionnelles et… royales, loin de tous les conformismes.
Son livre montre que la vision longue, aux antipodes des préjugés, permet de comprendre en profondeur les ressorts d’un « pays neuf », donne envie d’aller sur place rencontrer nos cousins et de se ressourcer au cœur de grands espaces que l’homme a arpentés, travaillés, structurés sans les dénaturer.
Répondant sans réserves à la promesse du sous-titre : « biographie d’une nation », il fait œuvre d’historien sans perdre les couleurs du temps, dans un fourmillement d’anecdotes qui concourent à la compréhension sans se perdre dans l’accessoire.
Nation affirmée depuis le début du XXe siècle, émancipée de la tutelle coloniale à partir de sa participation à la Grande Guerre, le Canada « continue néanmoins à s’interroger sur son identité ».
L’eau, la mer et la forêt sont depuis le début les vecteurs de la présence humaine. Il y a près de 20 000 ans, les premières populations, d’origine vraisemblablement européenne et asiatique, se sont trouvées « emprisonnées et condamnées à devenir américaines » suite à une montée des eaux résultant d’un réchauffement qui ne devait rien au CO2. Plus tard, lorsque ces peuples amérindiens voient débarquer les Européens, ils sont étonnés par ces nouveaux venus : « ils ont des cheveux au menton, pas de femmes, et se déplacent sur de hautes îles en bois ».
Dès le XVIe siècle, de hardis pêcheurs basques, français, portugais… se risquaient jusqu’au Grand Banc, au large de Terre Neuve, pour pêcher la morue déjà très abondante. Alors va commencer avec Jacques Cartier, mandaté par François Ier, la saga continentale, œuvre française dès l’origine – même si des expéditions anglaises et espagnoles avaient amené ponctuellement d’autres acteurs dans ces eaux, à la recherche d’un passage au nord vers les Indes.
Le développement de la Nouvelle France va s’accélérer à partir d’une politique cohérente et volontariste voulue par Louis XIV et mise en place par Colbert, et une organisation calquée sur celle du royaume va s’appliquer sur de vastes étendues englobant les Grands Lacs et plusieurs États actuels des États-Unis, et remontant au-dessus de l’Acadie jusqu’à la mer du Labrador.
Les péripéties qui ont précédé et suivi cette étape charnière sont agréablement articulées, permettant de découvrir les interactions entre les puissances européennes, les nations indiennes, les missions, les compagnies commerciales développant le commerce des peaux, gisement économique important. Non sans mettre en lumière les fortes personnalités ayant contribué à la valorisation du territoire.
Le dernier tiers du livre est consacré à l’émancipation politique et à la montée en puissance du pays, avec une démographie dynamique (intrinsèque et par immigration choisie), une industrialisation bénéficiant du potentiel hydroélectrique et minier, un dynamisme reposant sur le haut niveau des personnels politiques et économiques, qui ne se dément pas. Un pays dont le taux de scolarisation des enfants est de 100 %, celui des adultes possédant un diplôme universitaire de 50 %, le plus élevé du monde. Un pays aussi dont la surface forestière représente un tiers des forêts de l’hémisphère nord et filtre 80 % de l’eau douce courante dans le monde. De sacrés atouts !
À la fin de cette lecture, on voit bien comment, par une construction aussi intuitive que volontaire, la Nouvelle-France, la Nouvelle-Angleterre et les nations indiennes ont généré une nation composite mais en même temps homogène.
Le « Vive le Québec libre ! » du Général apparait dans le contexte contemporain un peu décalé. L’Histoire était déjà passée et les dirigeants canadiens, désireux de s’émanciper des tentatives de tutelle de leur puissant voisin, étaient très réceptifs à la vision d’un monde non-aligné dont se réclamait la France à l’époque. L’alliance eût été plus stratégique que l’affrontement.
En 1967, Daniel Johnson, premier ministre du Québec, faisait allusion à l’interdiction faite aux protestants de s’installer en Nouvelle-France au XVIIe siècle : « si Richelieu et Louis XIV les avaient laissés s’installer au Nouveau Monde, les premiers hommes sur la lune auraient parlé français ». Mais là aussi, l’Histoire était déjà passée.