Tribunes
Que faire ?
Adieu, mon pays qu’on appelle encore la France. Adieu.
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En mars dernier, la Congrégation pour la Doctrine de la Foi publiait, avec l’approbation du pape, une réponse à un dubium et une note explicative au sujet de la bénédiction des unions homosexuelles. L’objet de ce texte n’était donc ni l’homosexualité en elle-même, ni les unions de personnes homosexuelles, mais exclusivement la bénédiction de ces unions. En outre, puisque le texte est une réponse à un dubium, quelqu’un avait soumis ce doute à la Congrégation comme d’autres l’avaient fait auprès du pape pour Amoris Laetitia.
Pour le sujet qui nous concerne, tout est parti d’Amoris Laetitia, justement. Lorsqu’un texte est sujet à de multiples interprétations, il arrive que certains extrapolent et, peut-être, avec une certaine complaisance. Pourquoi ? Pour faire bouger les lignes. Si donc l’on pouvait envisager une bénédiction d’une union de divorcés remariés, au titre que l’on voudra, pourquoi ne pas envisager dès lors une bénédiction similaire pour les couples de même sexe ? Si les couples de divorcés remariés vivant dans une situation objective de péché ont droit à ce genre de démarche, au nom de l’amour qui existe entre eux, et de la pastorale, pourquoi les seconds, eux aussi vivant dans une situation objective de péché, ne pourraient pas y avoir droit ? Et de la question on est passé aux actes, ou à une intensification d’une pratique, comme d’ailleurs certains le prédisaient à l’époque de la parution de l’Exhortation apostolique.
Ces bénédictions d’unions homosexuelles semblaient d’ailleurs, aux yeux de certains, parfois évêques, recevoir un encouragement indirect de la part du pape François eu égard à ses multiples prises de paroles pleines de bienveillance pour la chose gay. Ce discours était largement relayé par la presse qui voyait en François le champion de l’ouverture de l’Église aux gays, comme si elle leur était fermée, non plus seulement, ce qui était le cas jusqu’ici, en tant que personnes affectées de telle tendance mais aussi en tant qu’auteurs d’actes sexuels que la dite tendance conduisait à poser. Finalement, si certains demandaient une bénédiction le plus sincèrement possible, la majorité et l’opinion voyait dans cet accès un blanc-seing octroyé par l’Église pour des mœurs que jusqu’ici elle avait condamnées. L’enjeu, ne nous trompons pas, est là tout entier.
Le récent document romain, que le pape n’a donc ni écrit, ni même approuvé formellement – il n’a que consenti à sa publication –, a bien sûr indigné l’opinion gagnée à la cause LGBTQI+ et lui donne, soudain, l’image d’un pape hypocrite ou menteur. Cette indignation pouvait se concevoir de la part du profane. En revanche, elle devient étonnante et inquiétante de la part d’évêques. De ce côté-là, le spectre de l’indignation était assez large, allant du silence désapprobateur à l’opposition plus franche, comme pour Mgr Bonny, évêque d’Anvers, en passant par des atermoiements diplomates, comme avec Mgr Schönborn, archevêque de Vienne, ou la minimisation du texte qui ne serait qu’une noticule écrite par une des multiples congrégations romaines et pour laquelle nous n’avons aucune garantie de l’approbation formelle du pape. Car, depuis ce pontificat, l’approbation formelle pontificale est très recherchée, ce qui était loin d’être le cas avec les deux papes précédents, où, au contraire, on la relativisait.
Quoi qu’il en soit, dans toute cette affaire de bénédiction, ne concernant d’ailleurs qu’un nombre peu élevé de cas, il n’est que peu question d’intérêts spirituels, il s’agit bien plutôt, comme je le disais plus haut, de faire bouger les lignes non seulement de la pastorale mais de la doctrine elle-même.
Mais quelle est la doctrine, reprise par l’explication de la note ? Rien de moins que la position traditionnelle et orthodoxe de l’Église sur le mariage. En effet, celui-ci est un sacrement ; autrement dit, il appartient, en matière de signe, à l’ordre des réalités humaines mais, en matière de signification, il relève de l’ordre de la grâce, c’est-à-dire des réalités divines. Pour le dire autrement, le mariage chrétien est une chose naturelle élevée à la dignité d’être capable de signifier une réalité d’ordre spirituel et de la signifier efficacement, c’est-à-dire en la réalisant.
Dans le cas du mariage, cette réalité spirituelle est riche de sens multiples : l’union du Christ Sauveur avec l’Église sauvée, la création humaine initiale, l’amour trinitaire, la fécondité divine, l’alliance entre Dieu et l’humanité. Pour l’Église, l’humanité n’est pas divisée en hétérosexuels et homosexuels mais en hommes et femmes. Cette distinction sexuelle est de création : « homme et femme, Il les créa ». Plus loin, la Genèse indique que l’homme et la femme feront une seule chair. Autrement dit, de création, la distinction des sexes est ordonnée à une union des personnes et ce même si le péché originel est venu rendre cette union plus difficile. Cette union marquée désormais par le péché est assainie, réparée et élevée par le Christ. Voilà, synthétisée, l’approche fondamentale anthropologique qui sous-tend toute la théologie du mariage. On comprend dès lors que les unions de même sexe, même avec ce qu’elles pourraient contenir de positif du strict point de vue humain, sont intrinsèquement incapables des significations exposées pour la bonne et simple raison qu’elles ne rendent pas compte de la distinction des sexes. Outre le fait que seules les unions sexuelles entre un homme et une femme sont capables de transmettre la vie naturellement, celles de personnes de même sexe, reposant sur la similitude physique et psychologique des personnes, sont inaptes à signifier ce que l’Église entend faire dire au mariage, qui est autre chose qu’une affaire romantique ou de pure affectivité. Une pastorale récente n’a que trop entretenu le sentiment que le mariage n’était finalement qu’une bénédiction ecclésiale et divine donnée à un amour préexistant. L’amour des fiancés ou des amants étaient donc le plus important et l’élément prépondérant. Il ne s’agit pas de cela : c’est l’amour de Dieu, son agapè, qui est toujours premier en matière de sacrement et, pour le mariage, c’est l’amour humain, manifesté dans la séparation des sexes et dans leur recherche d’union personnelle, qui va à la rencontre de cet agapè divin pour pouvoir l’incarner, le rendre palpable sous la forme de la figure sacramentelle du mariage. Pour célébrer un amour humain, nul besoin de l’Église, nul besoin du Christ, nul besoin de grâce salvifique, ni, au final, d’autorisation. On se mariait avant le Christ et aujourd’hui encore on se marie sans lui. Lorsqu’on fait une demande à l’Église, en l’occurrence ici une bénédiction d’union, il faut savoir ce que l’on demande et à qui on le demande ; il s’agit de ne pas se tromper sur le service demandé, si l’on peut dire.
On ne nie pas qu’il puisse exister de l’amour entre personnes du même sexe, ni que cet amour puisse ressentir la nécessité de toucher, d’embrasser, d’union physique, ni même qu’il puisse, si c’est un amour véritable, posséder une dimension spirituelle, mais il lui manque d’autres aspects très réalistes indispensables au système de significations de l’anthropologie théologique catholique. Si, pour une part, l’Église est idéaliste, elle ne l’est jamais sans avoir les pieds en terre et attentive aux réalités concrètes. Pour elle un homme est un homme et une femme, une femme, et le fait, incontournable, que seule leur union soit féconde, au sens le plus littéral, a son importance. Cette réalité de la fécondité organique, l’Église entend, comme pour toutes choses, la mettre sous la lumière du Christ et ce, notamment, avec le sacrement du mariage où cette fécondité humaine sera un signe de la fécondité du Christ. Cette chose-là est impossible avec les couples de même sexe.
Reste la question de savoir, si l’on ne peut pas, malgré tout – après tout il y a, dans les cas les plus construits, une expérience humaine d’amour qui est vécue, et comme on sait « Dieu est Amour » – donner une bénédiction à ces couples sexuellement et foncièrement “stériles”, étant clair que le mariage sacramentel est impossible ? La réponse est donc non, et ce malgré une pratique déjà bien ancrée dans certains diocèses et promue par certains évêques dans une préoccupation pastorale flirtant avec l’air du temps.
La note explique que la bénédiction d’une union est ordonnée, par sa forme et par son intention, au mariage sacramentel. Puisque, pour les couples de même sexe, le sacrement ne pourra jamais avoir lieu, la bénédiction de l’union ne peut, elle non plus, avoir lieu par défaut de signification. Cela risquerait de faire de la bénédiction, surtout si elle est donnée dans un cadre cérémoniel et avec une assistance, un mariage au rabais ou entretenir la confusion avec le sacrement lui-même. Il n’y a donc pas matière à donner une bénédiction à ce type d’union qui sous-entend une activité sexuelle de type conjugal. Il faut remarquer que c’est l’union qui ne peut bénéficier d’une bénédiction et non pas les personnes.
Enfin, et pour terminer, cette anthropologie comporte un volet moral important. Ce n’est pas le lieu de refaire les fondements métaphysiques et théologiques de la morale catholique. Du strict point de vue de la morale, le péché n’est pas une notion lui appartenant, puisqu’il n’est pas quelque chose contre la morale. Il s’agit d’une notion théologique qui assume des présupposés moraux et qui parfois les fondent. Quand on parle d’homosexualité de quoi parle-t-on ? De la tendance comme telle ou des actes posés ? La tendance, comme tendance, n’est jamais un péché et ce malgré toute la perturbation qu’elle peut éventuellement entraîner. Elle n’est pas un péché car elle n’est pas la conséquence d’un choix libre et conscient, elle est un donné qui s’impose à la personne. En revanche, il n’en est pas de même des actes libres. L’acte est normalement l’aboutissement d’un mouvement de la volonté, d’un choix délibéré, en tout cas c’est de ces actes-là que l’on parle, et ceux-là seuls peuvent constituer des péchés lorsqu’ils vont à l’encontre du plan divin de sanctification et de salut. Si la tendance n’est pas un péché, l’Église la considère comme gravement désordonnée, c’est-à-dire que, par sa nature même, elle peut conduire à une action peccamineuse. Ici s’applique la théologie normale du péché, sa distinction en mortel et véniel, et les conditions classiques pour avoir affaire à un péché mortel, restant saufs le jugement de Dieu et sa miséricorde.
On l’aura compris, l’Église n’est pas du tout adepte de l’innocence sexuelle pour laquelle les actes sexuels, quels qu’ils soient, sont sans conséquences, n’impliquent rien, sont pure candeur et toute innocence. À vrai dire, l’Église n’est adepte d’aucune innocence, elle prend la pâte humaine dans sa réalité tragique et sublime. La sexualité, par les passions qu’elle met en mouvement et par son impact sur la psychologie, l’esprit et l’âme d’une personne, est loin d’être anodine. L’époque veut que l’on ne s’encombre plus de débats, de réflexion, et quand bien même elle voudrait réfléchir, elle n’en aurait plus les moyens : l’émotion lui tient lieu de notions claires et distinctes, et la passion, de logique. Il est dès lors difficile de comprendre le type de langue que parle l’Église, et pour elle, il s’agit d’un vrai défi de communication : comment faire passer un message que les auditeurs ne peuvent plus comprendre ? Comment renouveler la forme du message sans sacrifier le fond ?
Comme catholiques, nous croyons que rien n’échappe au pouvoir salvifique du Christ pour autant que nous le voulions bien, et si le moyen ordinaire, visible et proche de ce pouvoir sont les sacrements, le Christ n’est pas limité par eux. Un amour vrai, quel qu’il soit, est toujours de l’amour et cette expérience infiniment humaine, est, pour un chrétien, toujours tendue vers Dieu. Comment le Christ sauve-t-il les personnes embarquées dans une union de même sexe ? Ou plus simplement celles qui se débattent une vie durant avec l’homosexualité ? C’est lui qui sait, cela appartient au secret de sa miséricorde mais s’il le fait, il le fait toujours avec et par l’Église, avec ou sans bénédiction.
Illustration : La fronde des prêtres allemands, décidant de bénir les unions homosexuelles le 10 mai 2021, va-t-elle ouvrir un schisme ? Pour le moment, il semble que célébrer une messe sans se préoccuper des masques des fidèles soit plus dangereux aux yeux des évêques et du Vatican.