Recevez la lettre mensuelle de Politique Magazine

Fermer
Facebook Twitter Youtube

Article consultable sur https://politiquemagazine.fr

Hendrik-Jacob De Croes, le Vivaldi des Flandres

Facebook Twitter Email Imprimer

Hendrik-Jacob De Croes, le Vivaldi des Flandres

Peu d’informations nous sont parvenues sur la vie et la formation d’Henri-Jacques De Croes, baptisé à Anvers le 19 septembre 1705. Nous trouvons sa trace en 1716 alors que le garçon étudiait auprès du père Jozef Willem Soussé, maître de chant de l’église Saint-André. Il avait à peine dix-huit ans en 1723 lorsqu’il devint premier violon de l’église Saint-Jacques, où il retrouva son ancien professeur, et dont il fut ensuite nommé vice-maître de chapelle.

Au service des princes

Sa renommée s’étendit rapidement : en 1729, il entra à Francfort au service du prince Anselm Franz von Thurn und Taxis, qui possédait des résidences à Bruxelles, Francfort et Ratisbonne. De Croes voyageait donc à travers l’Europe au gré des déplacements princiers et du développement de sa carrière. Etant donné ses fonctions, sa production fut majoritairement religieuse : plusieurs dizaines de messes, un Requiem et de nombreux motets fortement influencés par ceux de Henry Du Mont.
Avec Joseph-Hector Fiocco, Franz Krafft, Karel Jozef van Helmont, Pieter van Maldere, il appartenait à cette école du nord qui dynamisa la vie artistique du XVIIIe siècle dans les Pays Bas autrichiens. Ses œuvres se voyaient en outre programmées à Arnhem, à Liège mais aussi à Paris ou à Naples. S’il fit imprimer ses concertos à Bruxelles en octobre 1734, que les amateurs du temps pouvaient se procurer chez le sieur Vicedomini près de la vieille Halle au Blé, c’est à Paris que fut publié son opus 1 « officiel » en 1743, les Six Sonates en trio pour violons. Ses compositions raffinées, qui ne manquaient pas d’élans expansifs, avaient assimilé les influences françaises et italiennes.
Après son séjour francfortois d’une quinzaine d’années, notre musicien flamand s’installa à Bruxelles en 1744 comme Konzertmeister de la chapelle de Charles-Alexandre de Lorraine et de Marie-Anne d’Autriche avant d’en devenir le maître de chapelle et directeur musical en 1746, succédant à Fiocco. Exigeant sur la qualité, il rehaussa fortement le niveau de l’orchestre en recrutant notamment sur concours d’entrée… Le compositeur se conforma au goût de Charles de Lorraine qui appréciait la nouveauté du style rococo italianisant, qui se pratiquait à la cour de Louis XV. Témoin et acteur de cette époque charnière, De Croes abandonna certaines caractéristiques baroques, imposa un style galant qu’il infléchit par ses innovations vers le classicisme naissant.
Son abondant catalogue de musique profane comprend des symphonies, des concertos, de la musique de chambre. Les Six sonates à quatre parties (1747) furent dédiées à son Altesse Royale Anne de Hanovre, princesse d’Orange et de Nassau et les Six sonates en trio (1752) au très mélomane prince Karl Anselm von Thurn und Taxis. Une attention particulière y est portée au dialogue entre les instruments. Son opéra comique Les Amours de Colin et de Colette, représenté à Bruxelles le 4 novembre 1756, est perdu, comme nombre de ses partitions.
Henri-Jacques De Croes s’éteignit à Bruxelles le 16 août 1786. Son fils Henri-Joseph (1758 – 1842) devint lui aussi musicien à la cour de Karl Anselm von Thurn und Taxis.

Une discographie discrète

L’œuvre de De Croes père a été parcimonieusement mais régulièrement enregistrée. Jean-Pierre Rampal a gravé les trois merveilleux concertos pour flûte en 1968. L’esthétique transalpine les irradie de bout en bout, mais De Croes pousse plus avant que Vivaldi les recherches formelles (apparition d’un second thème) et élargit les proportions à celles de la symphonie préclassique, à l’instar de son contemporain Jean-Marie Leclair.
Son op.5, les Six sonates en trio pour les violons, flûtes et basse continue, édité par Le Clerc à Paris entre 1735 et 1746, fut longtemps tenu pour disparu. Un unique exemplaire découvert à la bibliothèque de l’Université de Virginie permit son enregistrement en 2018. Ces partitions conservent un parfum rococo et de persistants effluves italianisants.
Son recueil de concertos, lui aussi considéré comme perdu, a été retrouvé récemment au sein de la bibliothèque de Stockholm et enregistré par la violoniste et musicologue Ann Copp et son ensemble Le Pavillon de Musique. Ils affichent ouvertement leur style italien et rappellent en maints endroits Arcangelo Corelli ou Antonio Vivaldi, qu’ils semblent citer pour mieux s’en affranchir. La liberté de ton de l’Allegro initial du premier concerto captive d’emblée, tout le talent du compositeur s’y révèle. L’invention est constante. Chaque détail est fignolé. Les quatre parties de violon – au lieu des trois usuellement employées – attestent d’une stimulante créativité. Le deuxième violon se voit ainsi confié une partie indépendante qui anticipe la conception d’écriture du quatuor à cordes. Des modèles de dialogue constructif apparaissent qui seront plus tard amplifiés par Haydn et Mozart.
Les membres du Pavillon de Musique abordent ce répertoire concertant avec une maîtrise instrumentale irréprochable, un louable engagement et un réel raffinement. La « lente fougue flamande » chère à Marguerite Yourcenar imprègne plutôt leur interprétation, parfaitement mesurée, trop appliquée peut-être. L’opulence sonore prend le pas sur la fantaisie. Cette retenue était-elle de mise à la cour princière de Bruxelles ? Comme on aimerait plus d’exubérante vivacité dans les mouvements animés ! Les Sonates de l’op.5 enregistrées par Barrocotout pour Lynn Records pétillent d’une vie plus ardente, d’une énergie plus débridée.
En revanche, le lyrisme intense des mouvements lents nous transporte. Le poignant Adagio du 2e concerto mettant en valeur le soliste, la lamentation alla zingara du 3e, les envolées du violon dans le Largo du 5e sont magnifiques d’intensité émotive, tout comme la mélodie presque improvisée du Largo du 6e, soutenue par les staccatos des cordes[1]. Les sonorités riches et soignées de l’ensemble ont été enregistrées par Paul Pasquier en l’église Saint-Augustin de Brages (Beert) avec l’aération nécessaire à l’épanouissement des timbres des instruments anciens. Ce premier disque du Pavillon de Musique constitue un jalon essentiel dans la connaissance et la diffusion des œuvres de l’éminent maître anversois.
À écouter :

  • Motets, Capella Brugensis, Collegium Instrumentale Brugense, dir. Patrick Peire, 1CD Eufoda, 2004
  • Sonates en trio op.5 n°1-6 La sonate égarée, Ensemble BaroccoTout, 1CD Linn Records, 2018
  • VI Concertos pour violon, Le Pavillon de Musique, Ann Cnop, 2 CD Etcetera Records, 2021

[1] Qui dure 6’31 et non 3’31 comme indiqué sur la pochette.

Facebook Twitter Email Imprimer

Abonnez-vous Abonnement Faire un don

Articles liés