La Nouvelle Revue Universelle
Numéro spécial Boutang de La Nouvelle Revue Universelle NRU- à commander ici !
Un numéro exceptionnel de La Nouvelle Revue Universelle entièrement consacré à Pierre Boutang
Article consultable sur https://politiquemagazine.fr
La philosophie est en deuil. Jean-François Mattéi est décédé. Il a été enlevé à cette terre soudainement le 24 mars dernier. Nous ne verrons plus son visage si fin qui respirait l’intelligence. Ce pied-noir qui n’avait rien renié de ses origines, aimait le soleil et détenait dans le secret de son être quelque mystère solaire. Pudique et discret, seuls ses amis qui étaient favorisés de sa lumineuse conversation décelaient dans sa personnalité une transcendance qui l’apparentait à ces sortes de demi-dieux de l’Antiquité qu’étaient les philosophes. Il en était un ; il avait une longue familiarité avec eux, ce qui ne l’empêchait pas d’aimer la musique, le piano, le jazz et la vie.
Il côtoyait Platon qu’il lisait dans le texte. La philosophie grecque, la vraie, pas celle des sophistes, dès les pré-socratiques s’est posée, en quelque sorte définie, par rapport à l’Être et donc au Non-Être. Abîme de pensée dont toute pensée est sortie, de même que dans la Bible Dieu se définit comme Celui qui est, source de tout être.
Jean-François Mattéi tenait de tout son être, c’est le cas de le dire, à ces deux traditions qui ont enrichi l’humanité d’un trésor incomparable, le trésor de notre civilisation, et que notre civilisation, au grand regret de ce maître philosophe, à force d’en profiter et d’en abuser, délaisse et abandonne en se critiquant elle-même, alors que cet esprit critique lui fut donné à l’origine par le discernement premier de l’Être en vue d’une fécondité positive. Toute la matière de ses derniers livres tourne autour de cette essentielle méditation, La Barbarie intérieure, Le regard vide, Essai sur l’épuisement de la culture européenne.
Le vrai, le bien, le beau
Il avait bu à la source platonicienne et avait plongé, avec son maître Boutang, dans l’Ontologie du secret. La métaphysique de la personne, le mystère de la destinée, l’étonnant enchaînement des civilisations et des pensées philosophiques, supposent dans son esprit l’acception impérieuse de la vérité, l’exigence imprescriptible de la justice, un sens ordonné de la mesure et de la beauté. Toute son œuvre, surtout dans sa dernière partie, est littéralement hantée par cette triple et unique nécessité qui s’impose à l’esprit, au monde même, à l’homme qui pense, à la société : le vrai, le bien, le beau.
Pour lui le dérèglement moderne, le monde de l’hubris, trouve sa cause dans le dédain, le mépris, le refus de ces transcendantaux et, avec Kant – car Mattéi était un moderne -, il pensait que le moi transcendantal avait besoin subjectivement de certitudes comparables, à la manière d’Hannah Arendt qu’il estimait infiniment. D’où son goût pour la phénoménologie, celle d’un Husserl, qui le rapprochait de la pensée d’un Jean-Paul II sans qu’il osât jamais même y faire allusion. En revanche, il s’était penché sur l’œuvre d’Heidegger, le disciple, absorbé dans l’ontologie fondamentale et l’expérience métaphysique, et en avait tiré la substantifique moëlle dans Heidegger et Hölderlin, deux poètes de la pensée et de l’Être qui, dans leur germanisme, se voulaient hommes de la Grèce et du soleil. Nietzsche aussi sur lequel Mattéi écrivit des pages décisives.
Toutefois, son auteur préféré dans la modernité reste Albert Camus, fils authentique et naturel de la mer et du soleil. Il y avait entre lui et le philosophe existentialiste, pied-noir comme lui, épris de justice mais non désincarnée, humaine, noble et belle, une affinité de sang et d’esprit qui se sent à chaque fois qu’il en parle dans une langue qui n’est riche que de sa superbe simplicité.
Nous avons connu Jean-François Mattéi grâce à nos amis du Midi qui avaient le privilège d’écouter ce prestigieux conférencier, clair et dense, comme sa pensée. Il avait honoré Politique magazine de son nom qui figure dans le comité de parrainage. Il y donnait des articles et le dernier portait précisément sur le dernier livre de notre autre ami pied-noir Jean Monneret, Camus et le terrorisme (éditions Michalon).
Il était devenu un combattant, ne laissant jamais passer une absurdité sans intervenir. Ces derniers temps, il avait le regard intellectuel attiré par la pensée d’un autre maître du Midi, Charles Maurras. La dernière conversation que j’ai eue avec lui, il y a un mois, au cours d’un long dîner, portait sur Le Chemin de Paradis du Martégal. Lui aussi aurait pu se murmurer à lui-même, comme Maurras, penseur du vrai, du bien et du beau, les vers de Mistral :
La mar bello plano esmougudo
Dou paradis es l’avengudo.
Le soleil de la vérité et la mer divine triomphent du mal, de la mort et des ténèbres. A son épouse et à toute sa famille nous exprimons nos condoléances les plus émues.