Kairos a organisé son premier colloque le 14 octobre 2020 sur le thème « école ambitieuse, meilleur antidote au séparatisme ». Cette nouvelle fondation créée en 2020 rayonne déjà et semble emboîter le pas à l’association Créer son école que vous avez dirigée pendant quinze ans. Pouvez-vous nous expliquer sa mission et en particulier sa dimension politique ?
C’est vrai, la toute jeune Fondation Kairos démarre très fort ! Créée le 18 juin dernier, elle a organisé son premier colloque en octobre, et vient de soutenir huit premières écoles, dont cinq sont catholiques. Elle a aussi organisé un colloque à l’Institut de France traitant de la question de l’islamisme et de l’école. Pour créer Kairos, j’ai mobilisé tout ce que j’ai appris en quinze ans d’engagement pour la liberté d’enseignement à Créer son école, à la Fondation pour l’école, dans le cadre de la douzaine de fondations abritées dont j’ai pu accompagner le développement, à l’Institut Libre de Formation des Maîtres et enfin à Educ’France depuis 2019. Kairos ne remplace pas Créer son école et Educ’France mais s’inscrit en complémentarité forte avec ces entités pour créer un écosystème efficace. Quand j’ai fondé Créer son école en 2005, il n’existait pas de structure capable d’accompagner les écoles vraiment libres et leurs responsables, qu’il s’agisse des créateurs, des directeurs ou même des professeurs de ces écoles. L’action de Créer son école, souvent en partenariat avec d’autres structures d’ailleurs, a été décisive dans le développement de la formule hors contrat, qui donne la plus grande autonomie possible vis-à-vis de l’État et des programmes de l’Éducation nationale. Aujourd’hui, Créer son école est reconnu comme le premier observatoire et le premier opérateur d’accompagnement des écoles indépendantes. C’est aussi un partenaire opérationnel de la Fondation Kairos. Quant à la dimension par définition politique de Kairos, elle est évidente : présidée par le chancelier de l’Institut qui est aussi un ancien ministre de droite, elle atteste que l’école libre est une thématique et avant cela une ambition qui devrait être naturelle à droite, au service de l’excellence et de l’individualisation des parcours, à rebours de l’uniformisation des esprits et du nivellement par le bas. Le combat pour la liberté scolaire est historiquement porté par la droite et embrasse l’ensemble du spectre du conservatisme, contre-révolutionnaire, libéral ou d’inspiration sociale ou encore néo-conservateur. La Fondation Kairos veut cependant dépasser cet héritage historique, et c’est là le fruit des réflexions sur la liberté scolaire nourries par ma collaboration avec Axelle Girard, dont l’expérience, le réseau et la connaissance de la chose publique constituent un apport stimulant. Pour défendre la liberté d’éducation, il faut aller au-delà de nos sympathies et de nos partenaires naturels, ouvrir de nouveaux fronts, nouer des alliances durables au service d’une cause qui, par définition, nous dépasse, puisqu’elle concerne l’avenir. De nombreuses familles engagées dans la liberté d’enseignement dans le cadre de l’instruction en famille ou des écoles libres hors contrat sont mues par une exigence académique et éducative forte pour leur enfant, le désir d’offrir un cadre d’éducation moins déconnecté de la nature, et une vive attention à la singularité des talents et des destins. Elles s’enracinent dans des milieux politiques diversifiés et un fort désir de pensée critique.
Plus de 420 personnes ont été réunies pour le premier colloque que Kairos a organisé. Comment êtes-vous parvenue à faire converger les différents mouvements politiques autour de la vision de Kairos : « innover pour transmettre, transmettre pour innover » ?
Le sujet – l’islamisme – était au cœur de l’actualité. Le 2 octobre, le président de la République avait prononcé le discours des Mureaux avec un fort volet sur l’éducation. Deux jours après, Samuel Paty était décapité devant son collège public. À Kairos, nous souhaitons traiter les sujets d’actualité en associant des responsables politiques d’horizons divers, des acteurs de terrain « parlant vrai », des penseurs et académiciens capables de remettre en perspective les problèmes. Pour ce premier colloque, cette ambition a pu être honorée, et notre deuxième colloque, sur l’avenir de l’école rurale, qui aura lieu le 27 janvier, est préparé dans le même état d’esprit. Il s’agit d’allier la rigueur scientifique, le pluralisme politique et le sens de l’action pragmatique pour contribuer à relever des défis qui se posent à nous.
Deux mots peut-être sur notre devise. L’enjeu est de transmettre notre civilisation aux nouvelles générations, qui prend sa source dans Athènes et Rome, et Jérusalem. Pour y parvenir, il faut innover car les jeunes de 2020 ne sont pas ceux de la France rurale des années 1950. C’est le « innover pour transmettre ». Par ailleurs, cette transmission, si elle doit être résolument conservatrice, doit en revanche nourrir l’aptitude des jeunes à innover. D’où le « transmettre pour innover », typiquement arendtien.
Un combat est mené pour maintenir la liberté scolaire : école hors contrat, école à la maison. Est-ce un combat plus idéologique que politique ?
Le gouvernement a parfaitement raison de vouloir trouver les voies d’une lutte efficace contre l’islamisation de notre pays. Mais les mesures proposées sont mal ciblées et disproportionnées. Et tout le monde sait qu’il y a en France de farouches adversaires de la liberté scolaire qui, de toute façon, ne ratent pas une occasion d’essayer de s’en débarrasser. Le combat contre la liberté scolaire, quelle que soit la forme qu’il épouse, a toujours une dimension idéologique.
Emmanuel Macron a annoncé que les mesures sur l’éducation qui allaient figurer dans sa loi sur le séparatisme devenue loi confortant les principes républicains étaient d’une radicalité comparable à celles des lois Ferry. Il n’est en effet pas exclu que l’assaut qu’il entend porter contre la liberté d’enseignement soit plus sauvage que celui d’un Mitterrand qui, par la loi Savary, voulut rien moins qu’absorber l’école libre dans l’Education nationale. En effet, en prétendant interdire l’instruction en famille, c’est la légitimité éducative de la famille qui est niée. Il n’y a là rien à envier à un Barère ou à un Danton qui affirmaient en 1793 que l’enfant appartenait à l’État et non à sa famille. Après l’instruction obligatoire à 3 ans et l’école obligatoire pour tous, c’est la mise hors la loi des parents en tant qu’autorité éducative qui se profile.
Défendre la famille et son droit inaliénable à choisir par priorité l’éducation et l’instruction de ses propres enfants semble une priorité. Si c’est être de droite ou faire de l’idéologie que de défendre de telle évidence, alors soit !
Toutes les associations à but non lucratif sont des associations de loi 1901. À l’heure où certaines associations (sportives, etc.) sont radicalisées, que pensez-vous de ce système juridique pour les écoles hors contrat, les avantages et les inconvénients de la loi 1901 ?
En matière éducative, le radicalisme islamique se loge plutôt dans les structures informelles non déclarées, dans les cours de soutien ou les cours de langue et de religion. Le problème ne me semble pas résider dans la loi 1901. Notre problème se situe dans le fait que l’Etat prétende se battre contre un mal qu’il ne se sent pas en droit de désigner. Il est tout de même incroyable que le projet de loi contre le séparatisme ne contienne pas une seule fois, en 54 pages, le mot islamisme. La raison en est simple : dans l’état actuel de notre droit, l’islamisme n’est pas un délit. Seul le passage à l’acte l’est. Du coup, ces nouvelles lois risquent de réduire ou d’annihiler des libertés qui profitaient à tous, et qui constituaient le tissu même de notre démocratie, sans pour autant supprimer la menace islamiste. Les familles et les écoles catholiques ne seront pas épargnées par ces mesures liberticides.
Face à la menace d’Emmanuel Macron de fermer les écoles privées hors contrat, vous rappelez le problème de l’application de la loi et vous donnez des solutions concrètes pour lutter contre les écoles clandestines. Avez-vous pu présenter ces solutions au ministre de l’Education ?
Le projet de loi apporte une amélioration pour démanteler les écoles de fait, donc non déclarées. En revanche, il supprime sans motif l’instruction en famille qu’il criminalise par la même occasion. De plus, il accroît la pression sur les écoles libres hors contrat en se dotant de moyens de les fermer sans plus avoir besoin d’en expliquer la nécessité préalablement au juge. Alors qu’elle est juge et partie, l’Education nationale se voit donner le pouvoir de fermer les écoles hors contrat très facilement, donc de fermer ses concurrents, qu’on le veuille ou non. C’est pernicieux. D’autant plus qu’on ne parle pas seulement de motifs liés à l’ordre public ou à la sécurité des enfants mais aussi de motifs liés aux choix pédagogiques et donc, au fond, à la liberté d’enseignement. De surcroît, de lourdes sanctions pénales ont été introduites à l’encontre des directeurs qui n’opéreraient pas dans les délais impartis les modifications de l’enseignement demandées par le rectorat dans le cadre d’une mise en demeure. Avec une telle épée de Damoclès sur la tête, il sera bien difficile de trouver des candidats au poste de directeur d’école libre !
Nous avons des échanges au niveau des cabinets du ministère de l’Intérieur et de l’Education nationale sur tous ces aspects. Nous mettons notamment l’accent sur le caractère contreproductif de certaines des mesures phares du projet de loi. Mais il est clair que c’est le juge constitutionnel qui seul pourra freiner cette dérive exagérément liberticide. A nous tous de faire monter le sujet dans les médias pour faciliter une saisine constitutionnelle dans de bonnes circonstances.
Plus largement, on se retrouve confronté à un problème récurrent : l’habitude du pouvoir politique de traiter les problèmes en prenant des lois, là où il faudrait surtout appliquer courageusement le cadre légal déjà en vigueur. Un exemple ? Les enfants instruits en famille ne seraient inspectés qu’à 70 % d’entre eux et les écoles hors contrat ouvertes dans l’année qu’à 80 % selon les dires du gouvernement. Dans les deux cas, la loi fait obligation d’inspecter à 100 %. Il est donc urgent que les inspecteurs inspectent… avant de changer la loi. Rappelons que nous sortons de loi Gatel de 2018 puis de la Loi sur l’école de la confiance de 2019. Nous ne pouvons tout de même pas avancer au rythme d’une loi par an pour restreindre toujours plus la liberté d’enseignement alors que – faut-il le rappeler ? – les problèmes se situent d’abord dans l’école publique qui scolarise 80 % des enfants.
Vous êtes qualifiée par Le Monde « de figure emblématique de la liberté scolaire ». L’ISSEP est concerné par la liberté scolaire : par sa structure et sa formation. Quels conseils pouvez-vous donner, spécialement aux étudiants qui souhaitent s’engager dans le combat de la liberté scolaire ?
La droite doit effectivement prendre le thème de l’éducation à bras le corps. Elle a cessé de penser la question éducative depuis 1984 environ, comme me le confiait un jour le député Xavier Breton, et ça se voit ! Le fait de remettre plus d’autorité et de discipline à l’école publique et de réhabiliter des méthodes éducatives structurées et enracinées dans la culture classique ne suffit pas à répondre aux défis éducatifs actuels. La droite doit cesser d’être à la remorque de la gauche pour l’éducation et la culture, si elle veut reconquérir un jour le pouvoir.
Concrètement, j’inviterais volontiers les meilleurs d’entre vous à nous rejoindre, à créer des écoles qui allient ambition académique, souci méritocratique, volonté de transmettre le trésor de notre civilisation, et ouverture aux innovations pédagogiques et technologiques.
Quant au combat pour la liberté d’enseignement, il y a deux visions possibles : celle qui consiste à soutenir avant tout un petit nombre d’écoles déjà existantes et celle qui consiste à défendre, éventuellement par l’attaque, le principe même de la liberté scolaire. Ce n’est pas la même chose. Et vous l’aurez compris, mon combat se situe dans la seconde perspective et j’invite à me rejoindre ceux qui ont compris que l’égalité des chances passait aujourd’hui par l’essor des écoles libres et par la démocratisation de l’accès à l’école de son choix.
Propos recueillis par Hélène Patmet