Monde
« Nos dirigeants actuels invoquent souvent la révolution »
Un entretien avec Ludovic Greiling. Propos recueillis par courriel par Philippe Mesnard
Article consultable sur https://politiquemagazine.fr
C’est l’histoire d’un objet controversé, d’une fausse couronne, d’une diplomatie facile entre la France et Madagascar et d’un mépris complet du droit français : le président bazarde la quincaillerie en attendant de brader le patrimoine de la Nation.
Jusqu’ici propriété du Musée de l’Armée de Paris, la couronne décorative qui ornait le dais de la reine Ranavalona III a été donnée par Paris à Antananarivo le 5 novembre. Une “restitution” qui a mis en colère le Sénat français, qui accuse Emmanuel Macron de brader en catimini les trésors de notre héritage colonial. Spécialiste de l’histoire de l’art, Didier Rykner ne cache pas non plus son agacement. Dans diverses tribunes, il s’est insurgé contre cette manipulation orchestrée par le pouvoir malgache à des fins nationalistes.
« Cent vingt-trois ans après son enlèvement, nous accueillerons ce symbole de notre souveraineté nationale » a déclaré dans son allocution Andry Rajoelina. Vêtu de rouge avec un col mao et d’un simple lamba sur l’épaule, le président malgache a inauguré, à grands frais, la nouvelle enceinte du Rova de Manjakamiadana, le palais de Ranavalona III, dernière reine de Madagascar. Une cérémonie haute en couleurs et un retour « historique » selon le dirigeant. C’est en février dernier que le président Rajoelina a réclamé à l’ancienne puissance coloniale qu’elle lui restitue cette couronne afin de l’associer aux festivités commémorant le soixantième anniversaire de son indépendance. La crise sanitaire a cependant retardé le départ de la couronne et quelques quiproquos ont presque provoqué un incident diplomatique entre les deux pays. En effet, la France a tenté de négocier ce retour dans le cadre d’un simple prêt. Mais face à l’insistance du gouvernement malgache, Paris a dû se résoudre à appliquer les accords signés entre les deux pays. « C’est une question de patriotisme. Il est temps de porter haut le flambeau de notre patrimoine » a martelé Rajoelina qui ne cache pas sa nostalgie des grandes heures de la monarchie malgache.
L’histoire de cet « élément décoratif » surmontant le trône du monarque mérina, dernier rejeton d’une famille qui a unifié Madagascar sous son joug au XVIIIe siècle, est entouré de mystères. Il est encore très difficile de déterminer de quelle manière cette couronne, utilisée lors de grandes cérémonies appelées « Grand Kabary », a été acquise par un colon réunionnais – et donc, pour autant qu’on le sache, n’est ni une prise de guerre ni un objet volé –, Georges Richard, fervent partisan de la conquête de Madagascar, avant qu’il n’en fasse don en 1910 au Musée de l’Armée. « Les autorités françaises se réjouissent que cet objet symbolique retrouve aujourd’hui sa place originelle, au sein du Palais de la reine. Je mesure pleinement l’émotion ressentie aujourd’hui, en particulier par les descendants de la famille royale, que je salue, et dont je connais l’attachement aux traditions et au respect de l’héritage de la reine Ranavalona III », a déclaré l’ambassadeur de France, Christophe Bouchard. Interrogée par la presse, la princesse Ralandison Fenovola, représentant la maison royale, s’est réjouie de revoir la couronne dans son pays et a affirmé que cet « événement était une marque de respect de la culture et de l’histoire du pays ».
À Paris, le Sénat ne voit pourtant pas les choses de la même manière et on évoque une « rupture de confiance » avec le gouvernement d’Emmanuel Macron. « Le principe d’inaliénabilité des collections françaises impose de passer par le Parlement, via une loi d’exception, pour restituer un bien culturel à un pays qui en fait la demande. Mais des œuvres peuvent sortir du territoire temporairement via une convention de dépôt passé entre deux pays », explique Catherine Morin-Desailly, sénatrice de l’Union centriste et très irritée par cette nouvelle “restitution” à un pays africain. « Ce sont des objets qui appartiennent à des collections nationales, ce qui nécessite que le peuple, au travers le Parlement, soit au cœur du processus, tandis que le chef de l’État puise dans les collections nationales pour des raisons purement diplomatiques », renchérit Pierre Ouzoulias, sénateur communiste des Hauts-de-Seine, en référence à d’autres objets de collection rendus récemment au Bénin et au Sénégal. La commission de la culture du Sénat a même déploré, dans un communiqué rendu public, « ce retour précipité et en catimini, effectué au mépris de toute consultation de la représentation nationale, seule autorité compétente pour autoriser la sortie de ces biens des inventaires nationaux ».
« Il est préoccupant qu’Emmanuel Macron ne se soit pas une seconde posé la question de la véracité des termes de la demande du président malgache, ni de la légalité de celle-ci. Il s’y est immédiatement déclaré favorable, par l’intermédiaire du ministère des Affaires Étrangères, mettant le ministère de la Culture et le Musée de l’Armée devant le fait accompli. Cette décision a été prise sans que personne à la direction générale des Patrimoines n’ait été informé ou consulté ». Historien de l’art et journaliste, Didier Rykner dénonce une manipulation de la part du pouvoir malgache. D’ailleurs, il réfute totalement que l’on puisse donner le qualificatif de couronne à ce qui n’est en réalité qu’une coiffe de zinc doré garnie de tissu ocre et grenat telle que l’on pourrait trouver dans n’importe quel théâtre. Loin d’être une œuvre majeure ou une prise de guerre, on la confond trop facilement avec la vraie couronne de Ranavalona III mystérieusement volée en 2011, à Madagascar, et jamais retrouvée en dépit de recherches internationales intenses. Une rumeur malgache affirmait que la France était à l’origine du larcin… Avec une presse locale entretenant la confusion (encore aujourd’hui) entre cette couronne et celle supposée du dais de la reine. « Jamais, par ailleurs, la reine n’a demandé la moindre indemnisation pour la disparition hypothétique de cette couronne, que Georges Richard a probablement achetée comme souvenir et qui n’était alors pas considérée comme un bien de valeur. Il ne s’agit, quoi qu’il en soit, aucunement d’un “symbole de [la] souveraineté nationale [de Madagascar] comme le prétend le président malgache », affirme Didier Rykner qui ne décolère pas face à cette mystification dont la France s’est rendue complice. « Un symbole et une question d’identité nationale » a répondu simplement la ministre de la culture malgache, Lalatiana Rakotondrazafy.
Illustration : Le colifichet