Tribunes
Que faire ?
Adieu, mon pays qu’on appelle encore la France. Adieu.
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Jean-Marc Moriceau nous avait enchantés, en 2018, avec sa Mémoire des Croquants où il rassemblait une vaste moisson de textes minuscules, redigés par les croquants eux-mêmes, ou les bourgeois du temps et les curés des villages, du XVe au XVIIe. La grande histoire passait mais on ne parlait que de gels, d’heureuses récoltes et de méchants gendarmes. La Mémoire des Paysans, volume construit sur le même principe d’une collection de textes brefs enchainés au fil des années, va de 1653 à 1788. Le plaisir n’est pas le même : on écrit plus, on écrit mieux ; mais on raconte toujours les labours et les malheurs. « Le froit fit mourir tous les bleds froments et seigles de sorte que si nous n’avions estés secourus par les bleds de Turquies que Louis quatorze, notre invincible monarque, fit venir pour secourir son pauvre peuple, nous aurions été obligés de nous enterrer tous vivants […] Moy, curé qui dicte cete affreuse histoire, j’ay empechay à un père de manger son enfant. » Ainsi nous parle Dubeuf, curé de Vatilieu, dans le Dauphiné, le 30 décembre 1709. L’élection d’un syndic de village dans le Berry, en 1733, vaut douze sols au nottaire tabellion Dumas. Et à Chanteloup-les-Vignes, dans les Yvelines, on apprend que « La récolte de 1734 abondante de blé et toute autre chose ; et pour le vin, il y en a de moitié plus que l’an passé. » Les loups attaquent en Poitou, en 1755, comme ils l’avaient fait à Ver-lès-Chartres en 1660 : il y a 39 occurrences pour Loups anthropophages dans l’index, moins que pour Grêle et presqu’autant que pour Fourrage. C’est le temps qu’il fait qui commande. « Mais du simple brassier, qui a défriché au foussou une sétérée de terre, jusqu’au fermier-gentilhomme, qui faut valoir en propre et en franchise de taille plus de 500 arpents, les distances sont immenses ». C’est une mine inépuisable sur le rapport au temps, aux distances, à la mort, à l’argent, au pouvoir, du petit peuple. L’auteur, avec ce prodigieux collage, nous fait saisir l’émergence d’une certaine aisance, bijoux et souliers ferrés, mais aussi la volonté de plus en plus partagée de laisser une trace – et de continuer à refuser l’impôt. C’est ainsi que nous savons qu’en 1714, en Tournaisis, alors que les décimateurs de Saint-Amand avaient été obligés « d’envoyer six dîmeurs et un notaire royal pour faire des procès-verbaux à tous ceux qui frauderaient » et que « les hommes de Saméon n’ont pas osé levé la tête mais ils ont suscité des femmes et filles du villages qui ont attaqué ces garde-dîme à coup de pierres. » La bonne idée !