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Le général Lee, une cause perdue

Le général Lee, héros ambigu, va bientôt descendre de son piédestal. Est-on bien certain que les valeurs qu’on y hissera apporteront la paix ?

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Le général Lee, une cause perdue

Il est la figure la plus symbolique de la Guerre de sécession. Lorsque débute le conflit opposant le Sud esclavagiste au Nord abolitionniste, le général Robert Edward Lee va rapidement prendre le commandement des armées confédérées, quinze états regroupés sous la Stainless Banner (« Bannière sans taches »). Une guerre civile de quatre ans qui se termine par la reddition du Sud à Appomatox, en avril 1865. Héros de la « cause perdue », comme il l’appelle lui-même, de nombreux monuments et plaques témoignent encore du respect qu’inspire cet ancien élève de l’académie de West Point chez les Yankees. Pourtant, depuis plusieurs mois, des voix s’élèvent pour que toutes les statues le représentant soient déboulonnées de leurs socles. Accusé d’être un symbole du racisme, les Américains comme ses descendants n’en finissent pas de se déchirer autour de la mémoire du général Lee.

Située à l’embouchure du fleuve James River, la ville de Richmond est la capitale de la Virginie. C’est ici qu’est né en 1807 Robert Edward Lee, le cinquième fils de l’ancien gouverneur de cet état du Sud. Très tôt, il se destine à une carrière militaire et se révèle un des plus brillants élèves de l’académie de West Point. Héritier de la plantation d’Arlington, il possède près de 200 esclaves qu’il traite avec assez peu de considération. En 1859, il est l’officier qui lance l’assaut final contre les troupes de l’anti-esclavagiste John Brown et qui permet son arrestation. Dans le fond, Lee reste hostile à la sécession mais garde une fidélité toute chauviniste à son État de naissance qu’il suit lorsque celui-ci décide de rejoindre les États confédérés dans leur désir d’émancipation du reste de l’Amérique. Habile tacticien, il va infliger de lourdes pertes aux nordistes et devient l’objet d’une rivalité avec le général Ulysse Grant qui tente de ralentir l’avancée de ce sudiste qui menace Washington. Pourtant, acculé, le 9 avril 1865, il doit rendre les armes et signer l’acte de reddition qui met fin à l’indépendance de la Confédération. Témoin privilégié de cette guerre qui aura coûté la vie à un peu moins d’un million d’Américains, Philippe d’Orléans, comte de Paris, vantera les « qualités militaires [d’un homme] qui a inscrit avec d’autres leurs noms dans les livres d’histoire ». Partisan de la réconciliation, son positionnement devient de plus en plus ambigu à la fin de sa vie et Lee va jusqu’à militer afin que les Noirs n’aient pas le droit de vote. Lorsqu’il meurt en 1870, la ville de Richmond décide alors de lui rendre hommage en lui érigeant une statue équestre, actuellement au cœur de toutes les polémiques dans le Dixieland.

Vers une guerre raciale ?

Recouvert entièrement de graffitis injurieux et revendicatifs, le socle de la statue équestre du général Lee témoigne des tensions raciales qui persistent, à Richmond comme ailleurs. Vaste mouvement créé peu de temps après la mort de l’Afro-Américain George Floyd, présumée victime de la violence policière, le Black Lives Matter (BLM) a exigé que soient retirés aux États-Unis tous les monuments et autres représentations qui peuvent rappeler l’existence d’un racisme persistant dans cette partie de l’Amérique du Nord. Celui du général Lee ne fait pas exception. En peu de temps, partisans du BLM et sudistes se font rapidement face, les premiers dénonçant une « relique antique du passé » qu’il faut déboulonner, les seconds souhaitant protéger ce qui appartient à une « histoire commune » que tous doivent accepter de partager. En juin dernier, le gouverneur démocrate Ralph Northam a déclaré que la « statue était un symbole de la ségrégation » et ordonné qu’elle soit enlevée. C’était sans compter avec un collectif de protection de la statue. Une plainte a été rapidement déposée pour stopper le décret du gouverneur, lui rappelant que le « Commonwealth de Virginie a juré de protéger la statue dans l’affection et la foi ». Dans la foulée, le maire afro-américain de la ville, Levar Stoney, a également demandé le retrait de toutes les statues confédérées de Richmond, invoquant la « nécessité de tourner la page du passé esclavagiste de la capitale de la Virginie ». « Depuis la fin officielle du statut de capitale de la confédération il y a 155 ans, nous sommes sous le poids de cet héritage. En les enlevant, nous pouvons commencer à guérir et concentrer notre attention sur l’avenir » a-t-il expliqué dans une vidéo postée sur le compte Twitter de la mairie.

“Reliques antiques du passé” ou “morceaux d’histoire commune”, les statues confédérées animent toutes les passions.

Ce n’est pas la première fois que le général Lee est l’objet d’un conflit mémoriel. En 2017, diverses organisations extrémistes s’étaient rassemblées dans la très virginienne Charlottesville. De l’Alt-Right au Ku Klux Klan en passant par les néo-nazis, ils étaient venus protester contre la volonté des collectifs antiracistes de faire tomber la statue du héros de la guerre de sécession. Des affrontements entre les deux groupes avaient fait un mort et 35 blessés. Dans le Maryland, un débat similaire a éclaté autour d’une autre statue de l’ancien propriétaire de la plantation d’Arlington, devenue aujourd’hui cimetière national. Un des descendants du général, Robert Wright Lee IV, est intervenu et a demandé que les autorités enlèvent la statue afin de préserver « l’unité de l’Union ». « Nous ne pouvons pas rester complices de ces monuments. Nous ne pouvons plus garder le silence et si nous le faisons, notre silence devient accord et approbation de la complicité » a renchéri ce pasteur contraint de démissionner après que ses ouailles se sont offusquées de ses prises de position en faveur du BLM.

Depuis le déclenchement du mouvement Black Lives Matter, c’est plus d’une centaine de statues glorifiant l’histoire du Sud sécessionniste qui ont été retirées de l’endroit où elles étaient installées. Le 3 août, un juge de Virginie a donné raison aux pro-Lee et a stoppé temporairement, pour trois mois, toutes velléités de déboulonnage de la statue richmondienne du général. Un monument récemment orné d’un message lumineux (« Arrêtons la suprématie blanche »), projeté par les activistes du BLM qui ont également détruit une autre statue, celle du président de la Confédération, Davis Jefferson. « La statue est un rappel creux d’une idéologie douloureuse et d’actes d’oppression contre les Noirs. La retirer offrira de nouvelles opportunités de conversations, de relations et d’un changement de politique » persiste et signe Robert Wright Lee qui demande à ses concitoyens de cesser de soutenir le « mythe de la cause perdue ». Alors que son leader local dort en prison, le Ku Klux Klan a menacé de passer à l’offensive si on tentait de retirer le général Lee de son piédestal. L’Amérique paraît au bord d’une nouvelle guerre raciale, et tentée à nouveau par la sécession. Quant au général Lee, il est devenu lui-même une cause bientôt perdue.

 

 

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