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Une question de décence

Voilà que la République se niche désormais dans le corsage des jeunes filles et dans la longueur de leurs jupes. Les féministes ont un avis sur la question. Jean-Michel Blanquer essaye de faire entendre une voix raisonnable, mais pusillanime. Il est donc inaudible.

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Une question de décence

«L’école n’est pas un lieu comme les autres. Vous n’allez pas à l’école comme vous allez à la plage ou en boîte de nuit […]. Chacun peut comprendre qu’on vient à l’école habillé d’une façon républicaine. » C’est par cette consternante déclaration que Jean-Michel Blanquer a tenté de mettre un terme à la querelle qui menace de s’envenimer au sujet de la tenue des collégiennes et lycéennes.

« S’habiller de manière républicaine »… comment un homme apparemment intelligent, instruit, plein d’expérience et de cautèle, peut-il proférer de telles inepties ? Qu’est-ce que cela peut bien signifier « s’habiller de manière républicaine » ? Les mamelles à l’air, comme La liberté guidant le peuple, de Delacroix ? Avec un bonnet phrygien ? Sans culotte mais avec une écharpe tricolore ? Évidemment, la sortie navrante de Jean-Michel Blanquer lui a immédiatement attiré lazzis, quolibets et moqueries, parfaitement mérités.

En vérité, c’était à peine plus lamentable que sa précédente tentative : « Il suffit de s’habiller normalement », avait-il affirmé. Dire qu’il faut s’habiller « normalement » à des gens qui, précisément, contestent l’idée qu’il puisse exister une norme vestimentaire à laquelle chacun devrait se soumettre : on admirera la puissance argumentative et la maîtrise de la rhétorique dont fait preuve le ministre de tous les professeurs.

Il est facile de se moquer de nos hommes politiques, qui ressemblent à ces pauvres bougres atteints du syndrome de Gilles de la Tourette, accablés de tics vocaux qui s’accentuent dès qu’ils sont en état de stress, si ce n’est qu’au lieu de proférer des rafales de « sac à foutre » ou « bordel de merde », ils hoquètent des « républicains » sans plus pouvoir s’arrêter.

Sauf que, à la différence des vrais malades, les tics de langage de notre personnel politique ont une fonction. Le mot « républicain » est devenu, depuis longtemps déjà, ce que l’on peut appeler un mot-écran. Un mot en lui-même dépourvu de signification précise, qui sert à camoufler tous les mots-tabous, toutes les idées qu’il est interdit d’exprimer publiquement sous peine de s’attirer les foudres des divinités du politiquement correct. Tout ce qui est « républicain » est censé être bien, tout ce qui est « non-républicain » est censé n’être pas bien, puisque tout le monde est censé être pour la République, donc, au lieu d’employer le terme qui conviendrait mais qui est verboten, vous dites « républicain » ou « pas républicain », et le tour est joué. Les questions meurent sur les lèvres de vos contradicteurs, les objections s’évanouissent, fin du débat. Républicain ? Glop-Glop ! Pas républicain ? Pas Glop-Pas Glop !

Et quel est donc ce mot que Jean-Michel Blanquer s’efforce de ne surtout pas prononcer ? Quel est donc ce mot qu’il remplace par « normal » ou par « républicain » ? C’est évidemment le mot « décence ».

Décence indicible

« Les collégiens et les lycéens doivent venir en cours dans une tenue décente ». Voilà ce que Jean-Michel Blanquer voulait réellement dire, voilà ce qu’il aurait dû dire. Et pourquoi en ce cas a-t-il choisi de dire « Glop-Glop » au lieu de « décent » ? Parce que la décence est une idée féministement incorrecte. La notion de décence présuppose que la sexualité n’est pas juste une agréable gymnastique à pratiquer entre adultes consentants, mais qu’elle est une composante essentiellement problématique de la vie humaine, qui doit être soigneusement éduquée et encadrée dans ses manifestations ; qu’elle doit être protégée par la pudeur, le secret ; que la modération – qui en ce domaine a pour nom « chasteté » – est un grand bien, à cultiver tout particulièrement chez les jeunes gens. La décence amène aussi à reconnaitre que les hommes et les femmes sont assez profondément différents dans leur rapport à la sexualité, que par conséquent les règles de la décence sont nécessairement assez différentes pour chaque sexe, étant donné que le corps des femmes a sur les hommes un pouvoir que le corps des hommes n’a pas sur les femmes. Bref, la décence signifie que la sexualité humaine est intrinsèquement liée avec la moralité et que cette moralité ne peut pas se résumer au consentement.

Tout cela est devenu indicible, pour ne pas dire incompréhensible, étant donné que les néo-féministes ont, depuis Beauvoir, fait d’une sexualité débridée la clef de « l’émancipation des femmes » et que, par ailleurs, nous avons mis nos passions à l’aise grâce aux progrès de la médecine, de sorte que, de nos jours, le seul discours qui ne vous attire pas d’ennuis est : « Jouissez sans entraves, pourvu que ce soit avec le consentement de vos partenaires et le sexe enrobé de plastique. »

Si Jean-Michel Blanquer n’est pas capable d’employer le mot qui convient pour exprimer ce qu’il attend, il n’a aucune chance d’obtenir satisfaction. Si le mot est interdit, l’idée est interdite, et si l’idée est interdite, comment des très jeunes gens trouveraient-ils par eux-mêmes le comportement qui convient ? Seuls ceux qui ont encore des parents à l’ancienne, et qui les écoutent, s’habilleront d’une manière que le ministre estimera « républicaine », les autres seront les jouets de la mode, de la pression de leurs pairs, et de toutes les idées fausses et délétères qui stagnent sur notre société comme un épais brouillard fétide. On peut donc s’attendre à voir de plus en plus de gamines vêtues comme des michetonneuses. Et parallèlement, en partie en réaction à ces outrances, de plus en plus de gamines voilées et de « grands frères » pour qui pudeur est synonyme d’enfermement des femmes.

Car les excès destructeurs sont le prix à payer lorsqu’on n’est pas capable de désigner et de défendre le comportement juste. Et puisque Jean-Michel Blanquer n’a pas le courage de désigner et de défendre le comportement qui convient, il devrait au moins se taire. C’est une question de décence.

Illustration : À gauche et à droite, Sibeth et Brigitte portent des tenues parfaitement républicaines, que l’on identifie facilement parce qu’elles sont normales / tricolores / élégantes. Au milieu, une jeune effrontée séditieuse et séparatiste (et pleine de joie de vivre).

 

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