Monde
« Nos dirigeants actuels invoquent souvent la révolution »
Un entretien avec Ludovic Greiling. Propos recueillis par courriel par Philippe Mesnard
Article consultable sur https://politiquemagazine.fr
Frédéric Rouvillois, dans un essai d’analyse politique aussi pertinent que glaçant, met en parallèle la doctrine des saint-simoniens et les propos et actions d’Emmanuel Macron, qui en a « récupéré les thèses, le climat, les formules, la terminologie, la méthode et les valeurs », le fondement de la comparaison étant cette ambition de faire advenir un monde nouveau. Mais pas si nouveau puisque Macron reprend à son compte tout ce que les progressistes ont toujours chéri et patiemment établi : un monde d’experts, un monde technique et même technologique, un monde où seul compte l’administration des choses, un monde ouvert où les individus, libérés de toute affiliation, voguent au gré de leurs envies et des marchés, bref un monde où on liquide, depuis bientôt deux ou trois siècles, tout ce qui garantissait la permanence des structures, locales, familiales, nationales, naturelles… Examinant le vaste projet macronien de liquidation de ces structures, l’auteur nous administre au passage ce qui pourrait être le meilleur exposé du saint-simonisme et de ses avatars, de 1830 à nos jours, avec force citations qui nous mènent, de décennies en décennies (en passant par l’inénarrable Hugo : « nous aurons ces grands États-Unis d’Europe […], nous aurons la patrie sans la frontière, le budget sans le parasitisme, l’éducation sans l’abrutissement, le courage sans le combat, la forêt sans le tigre [sic], la parole sans le bâillon, la conscience sans le joug, la vérité sans le dogme… » : on voit à quel point il a été visionnaire), jusqu’à Mendès-France et Amiel et Lemelien, conseillers de Macron ayant récemment commis Le Progrès ne tombe pas du ciel. À travers l’exposé, c’est le véritable programme de Macron qui est analysé : liquidation de la famille, du genre, de l’identité, avec un monde d’individus neutres et métis, liquidation du politique, dissous dans l’économique par le truchement de la mondialisation, liquidation de la religion dans le progrès. Le dire ainsi paraît plat tant tout cela est connu et vérifiable. Le lire remis dans la perspective d’un progressisme cohérent et implacable redonne à ce qui paraît être un quinquennat brouillon toute sa force destructrice et aussi toute son énergie invinciblement dirigée vers ce but de dissipation de tout ce qui entrave l’utopie. Les saint-simoniens d’hier et d’aujourd’hui ont parfaitement compris qu’il y aura “de la casse” – et en en ayant très bien pris leur parti puisque ces apôtres du progrès se caractérisent aussi « par la reconnaissance de l’inégalité radicale des talents, par le droit des plus capables à obtenir des récompenses et des revenus proportionnés à leurs œuvres, et, d’une façon générale, par une vision hyper-hiérarchisée de l’économie, de la société, de la politique, etc. » Le pire est à venir, en quelque sorte, mais lire Frédéric Rouvillois permet de ne pas espérer en vain un quelconque sursaut d’intelligence : la France est un archaïsme qui doit être liquidé comme les autres, et les Français devront s’y faire : on leur promet que ce sera pour leur plus grand bien, que n’ont-ils confiance ?