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Une mondialisation brutale

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Une mondialisation brutale

Non, les Français ne sont pas grincheux par culture et négatifs par habitude. Oui, la vie en France est aujourd’hui difficile et la mondialisation a été particulièrement brutale dans le pays. C’est un constat original et sans appel que livre le journaliste Philippe Manière dans un livre récent (Le pays où la vie est plus dure). Si la mondialisation économique est davantage dénoncée dans notre pays, c’est parce que la France n’en recueille presque aucun fruit, ce qui en fait une exception à travers le monde matériellement développé.

Si nous comptons onze entreprises dans le classement des cent plus grandes mondiales, c’est au prix d’une perte de francité pour beaucoup d’entre elles : réductions massives d’effectifs sur le territoire, absence d’affectio societatis avec les PME sous-traitantes, auxquelles elles mènent des pressions tarifaires tellement fortes qu’elles en sont souvent fatales. Au total, notre territoire compte trois fois moins d’industries de taille intermédiaire qu’en Italie et quatre fois moins qu’en Allemagne.

C’est que les grandes compagnies françaises sont dirigées majoritairement par d’anciens hauts fonctionnaires, un phénomène unique au monde. Ceux-ci se révèlent d’excellents gestionnaires mais de mauvais développeurs. L’obsession des coûts se fait au détriment d’une stratégie plus globale ; elle explique des situations ubuesques : tandis que les constructeurs automobiles français déménageaient leurs usines hors de nos frontières dans la décennie passée, Toyota implantait un site de production près de Valenciennes et le secteur embauchait des milliers de personnes en Allemagne.

La France semble ainsi être entrée dans un cercle vicieux qui empêche la constitution de nouveaux mastodontes. C’est là une autre différence cruelle avec nos voisins européens, les États-Unis ou le Japon. « C’est un fait : la mondialisation « à la française », optimisatrice plus qu’innovante, conquérante mais castratrice, ne nous profite ni en emplois, ni en exportations, ni en commandes à nos PME, ni en investissements de la part de nos grands groupes, ni même sous la forme d’apparitions de nouvelles entreprises à succès surfant sur la vague ». Pour combler ces manques, la puissance publique s’enfonce dans une protection dévoyée, qui consiste en des subventions toujours plus élevées, tandis que les médias scrutent le moindre licenciement dans les zones délaissées, ce qui inhibe les entrepreneurs qui veulent y embaucher.

La seconde partie de l’ouvrage s’attache à démontrer des blocages sociétaux plus connus : prix immobiliers très élevés qui créent un apartheid social de fait, manque de représentativité de la population dans le pouvoir politique, école ‘égalisatrice’ qui ne donne plus les mêmes chances à chacun, tyrannie des diplômes et des corporations des grandes écoles qui explique que « la France est le pays où l’on est, dès vingt ans, dans une case »… Dans une large mesure, notre pays combine désormais « clientélisme latin et insécurité anglo-saxonne ».

Seul manque au tableau de cette mondialisation le tabou majeur de l’époque que constitue l’immigration inédite de populations extra-européennes. Est-ce parce que l’auteur est particulièrement admiratif du modèle américain ? Il préconise en effet une ouverture à la mode anglo-saxonne, que ce soit en termes de représentativité dans les postes à responsabilité ou de baisse de l’exigence culturelle dans l’enseignement supérieur. Les propositions faites en fin d’ouvrage ne semblent pas à la hauteur du constat, mais ce dernier est limpide et sans appel. Un livre utile dans les querelles actuelles sur la mondialisation.

Le pays où la vie est plus dure, de Philippe Manière (éd. Grasset)

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