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Les fidèles

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Les fidèles

Le comte Caumont de Saint-Fiacre a presque 80 ans, des principes, des terres, une histoire et, hélas, des enfants qui ont choisi d’être du siècle plutôt que de la famille. Alors que le XIVe siècle paraît somme toute assez proche à l’ancêtre, ses rejetons ne jurent que par les écoles de commerce anglo-saxonnes, le marché chinois et les promenades aux bords du canal Saint-Martin où l’on boit des vins sud-africains fruités. Veuf, propriétaire d’un domaine dont nul ne veut plus connaître les secrets, conservatoire à lui seul des politesses obsolètes, des honneurs oubliés et des élégances passées, le comte sent le soir monter, les promoteurs roder et l’héritage s’évanouir. Alors que ses enfants ont enfin obtenu qu’il vide la pièce aux archives, il sait que tout ce à quoi il a été fidèle – la lignée, l’honneur, la patrie, la chose militaire, le roi, la religion, ses amours défuntes… – est désormais vain.

Frédéric Rouvillois alterne en de courts chapitres le récit d’une journée fatidique et l’histoire d’une vie, prétexte à égrener, de l’Ancien régime à aujourd’hui, toutes les occasion où la France eut à souffrir et fut défendue, les heures glorieuses comme les coups foireux, les guerres au grand jour comme les complots obscurs. On comprend que ce nom “France” désigne une matière mystique, lentement quintessenciée, où pêcher le gardon et défendre le Roi, apprécier un Château-Lafitte 1885 et parler un français impeccable, lutter contre les fellaghas et saluer un villageois composent un alliage indéfinissable, nécessaire et savoureux.

Caumont le sait, et d’autant plus qu’il est fidèle à des choses qui n’ont presque plus de sens, dans lesquelles il est précisément difficile d’avoir foi alors que la modernité a tout dévoré de ses mâchoires mercantiles. Cette fidélité sera-t-elle essentiellement inutile puisque le domaine est menacée, pas tant par le manque d’argent que par le défaut de successeurs ? Les caves du château, où s’entassent des meubles dérobés à la République au moment des inventaires et des armes soigneusement cachées à chaque invasion allemande, seront-elles encore des matrices à rêves ou seront-elles transformées en spa ? Le roman file, glissant avec élégance le long de la nostalgie sans trop s’y appuyer, frôlant la caricature sans s’y embourber. Chaque figure qui surgit et s’évanouit, parfois pour revenir et se préciser, nous raconte une modalité de cette fidélité à plus grand que soi qui animent les fidèles à la France (qui n’est pas une grande idée ni un projet mais une réalité), qui furent des Manants chez La Varende et que l’auteur jette avec bonheur dans notre présent surprenant où tout peut se dissoudre.

Les Fidèles. Frédéric Rouvillois, éd. Pierre-Guillaume de Roux, 2020, 208 p., 18 €

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