Choisie par Dieu, une conscience inébranlable de sa mission, un désir ardent de sainteté alimenté par la volonté de mieux correspondre à sa très haute vocation, Jeanne d’Arc a ainsi pu surmonter les obstacles, ignorer les périls et affronter les Grands de la Terre.
Son épopée resterait incompréhensible si l’on occultait la dimension spirituelle, si l’on niait le caractère surnaturel de sa mission, caractère qu’elle a constamment affirmé. Un postulat doit être posé dès à présent, un axiome, devrions-nous dire, dont l’évidence ne peut être mise en doute, qui expose aux yeux de tous l’harmonie incontestable des vertus chrétiennes si bien ordonnées et incarnées par Jeanne.
Avant d’engager la bataille, elle écrit au duc de Bedford qui commande le siège d’Orléans pour lui demander de rentrer chez lui : « Sachez que je suis venue ici de par Dieu, qui est tout-puissant. » Aux capitaines qui tergiversent, elle déclare : « Vous avez été à votre conseil et j’ai été au mien ; et croyez que le conseil de mon Seigneur s’exécutera et tiendra et que le conseil des hommes s’évanouira. » Elle se dit envoyée par « son Seigneur ». Et « qui est ton Seigneur ? » lui demande-t-on. « C’est le Roi du Ciel. » Deux jours avant son martyre, elle affirme encore : « Si je disais que Dieu ne m’a pas envoyée, je me damnerais, car c’est la vérité que Dieu m’a envoyée. » C’est bel et bien « le commandement de Dieu », premier servi, qui gouverne Jeanne.
La foi en Dieu, source majeure des grâces qu’elle a reçues, imprègne donc la vie de la jeune Lorraine, appelée à devenir la libératrice de la France. Elle est, à ce titre, un exemple de l’action humaine fondée sur la grâce, à méditer.
« Je suis née à Domremy, et j’y ai reçu le baptême. Ma mère m’a enseigné le Pater, l’Ave Maria, le Credo, et je ne tiens que d’elle ma créance. Elle m’a également appris à coudre et à filer. » Toute sa culture est résumée dans ces mots. C’est une culture chrétienne. Jeannette a appris de sa mère à prier dès sa plus tendre enfance. Cette habitude est ainsi bien enracinée en elle.
Et puis, « un jour d’été, j’avais environ treize ans, et j’étais dans le jardin de mon père, j’entendis une voix, et je vis une clarté du côté de l’église. J’eus d’abord grand’peur. Cependant la voix me paraissait bien digne, et je crois qu’elle venait de la part de Dieu. Je fis alors le vœu de garder ma virginité. » Ses voix l’exhortent à être bonne et pieuse, à fréquenter l’église, et la préparent peu à peu à sa mission, en la fortifiant d’abord dans la foi. Les voix dont Jeanne reçoit ses messages n’ont guère plus d’importance que l’ange Gabriel dans l’Annonciation. Ce sont bien les messages qui nous importent ici : c’est la foi en Celui qui les inspire qui portera Jeanne à braver les hommes, les coutumes et les mœurs. Elle le confirma à maintes reprises. À un théologien qui lui demande à Poitiers : « Croyez-vous en Dieu ? », elle répond avec assurance : « Oui, mieux que vous » ! Elle affirme avec constance n’avoir rien fait qui ne soit par mandement de Dieu. Après sa capture sous les remparts de Compiègne, elle déclarera : « Je crois que puisqu’il a plu à Notre-Seigneur, c’est pour mon bien que j’ai été prise. »
La Pucelle a joui fort tôt dans l’opinion publique d’une renommée de sainteté, « ayant paru constamment fort chrétienne dans sa conduite, ses actes, ses paroles ». Le climat évangélique qui a environné la brève apparition historique de Jeanne est un exemple à méditer. Pour Jeanne, comme pour nous, la violence, c’est la faiblesse de l’amour ; la force, c’est la douceur de Dieu ; la réussite, c’est l’abandon des êtres au Christ ; la joie, c’est le service des autres. Sa vie est conforme à celle de Jésus : une enfance sage et recueillie, où Dieu fut le premier servi, à Nazareth comme à Domremy ; des révélations, une mission ; une vie publique courte et brillante, puis un chemin, de la Passion au bûcher. Thérèse de Lisieux dira que la force surprenante de la petite Lorraine, son destin mystérieux, à l’imitation de Jésus, séduit les cœurs et les enflamme pour le règne de Dieu.
C’est bien ce que nous confirment les actes du procès et les affirmations qu’elle aimait à répéter : « Je vous assure que je ne voudrais rien dire ni rien faire contre la foi chrétienne. Si j’avais fait ou dit, ou si je savais qu’il y eut sur moi quelque chose que les clercs pussent montrer être contre la foi que Notre Seigneur a établie, je ne voudrais le soutenir ; mais je le bouterais dehors. Je crois bien que je n’ai jamais défailli et je ne voudrais défaillir en la foi chrétienne ».
Il lui est demandé : « – Est-il besoin de vous confesser, puisque vous croyez, à la relation de vos voix, que vous serez sauvée ? – Je ne sais pas avoir péché mortellement, mais si j’étais en péché mortel, je pense que sainte Catherine et sainte Marguerite me délaisseraient aussitôt ; et pour répondre à votre interrogation, l’on ne saurait trop nettoyer la conscience. »
À Rouen, pour aller de sa cellule à la salle où se déroule son procès inique, elle passe devant une chapelle, et supplie qu’on lui permette d’y entrer et de saluer son Maître. Cette consolation ne lui sera accordée qu’une fois, par un geôlier qui se fera réprimander vertement. Être privée de la messe et de la sainte communion, c’est là son plus grand tourment.
Amour et foi
Figure de foi, une foi portée en étendard, Jeanne, telle une cathédrale enracinée dans le sol, creusait ses fondements dans l’amour de la patrie, dans un désir véhément de paix et une soif de justice, qui devaient l’arracher de l’ombre où elle semblait confinée pour la jeter dans le cours violent de l’histoire.
La foi de Jeanne et sa vie de piété, alimentée de la messe, quotidienne si possible, de la confession très fréquente, d’une prière de tous les instants, déteint sur son entourage. Plutôt que de se laisser griser par les succès de ses victoires fulgurantes, elle entraîne les Orléanais vers leur cathédrale pour y remercier Dieu et chanter un Te Deum d’action de grâces.
Mais, fait hautement significatif, les soudards et les pillards qui constituent l’armée hétéroclite dont elle assume le commandement s’adoucissent soudain à son contact. On ne jure plus, on ne blasphème plus, on écarte les filles de joie des camps, on y bannit les jeux, et ces hommes se confessent, communient, viennent prier avec elle… et remportent les batailles !
Indiscutablement, sa foi au Dieu fort et miséricordieux aura été le ressort de son espérance. C’est bien la foi qui la conduit à Chinon pour affermir un roi incapable devant l’ennemi. C’est la foi qui lui permet de libérer Orléans. Et le cardinal Vingt-Trois d’ajouter dans un panégyrique de la sainte, « c’est la foi qu’elle communique à ses compagnons d’armes et aux populations pour lesquelles elle lutte. C’est la foi qui lui fait choisir le sacre du roi à Reims plutôt que la poursuite de l’ennemi. C’est la foi qui la pousse à se retirer à l’écart et à se plonger dans la prière au moment des batailles. C’est la foi encore – c’est la foi surtout ! – qui la soutient dans son dernier combat, celui de son procès ».
La vie de Jeanne fut donc avant tout une affaire de foi chrétienne. Elle fut aussi une figure d’amour. Elle a « fait la guerre par amour des gens opprimés par la violence et les destructions sauvages, amour de son roi et de son pays, amour même de ses ennemis qu’elle s’emploie à convaincre de se retirer avant le combat », nous rappela le cardinal Vingt-Trois. Qui dit foi catholique, dit adhésion à l’Église et au Pontife romain. Son adhésion à l’Église est indéfectible. Quand elle en appela au pape, son procès aurait dû être suspendu aussitôt pour être renvoyé au jugement du pape. Mais ses juges répondent que le pape est trop loin et qu’elle doit leur faire confiance à eux, qui sont l’Église militante. Or qui sont ses juges ? Cauchon, un évêque français. Des membres de l’Université de Paris, des ecclésiastiques, tous Français. Suprême infamie, suprême cynisme de l’Angleterre, elle fait condamner notre Jeanne par ce qu’elle aime et révère le plus : l’Église et la France. L’Église ? Une apparence d’Église, car, en réalité, une partie des juges de Jeanne se retrouveront au concile de Bâle où ils condamneront le pape pratiquement sous les mêmes chefs d’accusation qui les ont amenés à brûler Jeanne, et proclameront le conciliarisme, doctrine hérétique qui place l’autorité de cette assemblée générale au-dessus de celle du pape.
Elle cherche à amener Cauchon à se reprendre : « Vous dites que vous êtes mon juge ; prenez garde à ce que vous faites, car, en vérité, je suis envoyée par Dieu, et vous vous mettez vous-même en grand danger. » Elle déclare aussi, à son encontre, que « de Jésus-Christ et de l’Église, il m’est avis que c’est tout un, et qu’il n’en faut pas faire difficulté ». Et elle est bien consciente de ce que ceux qui disent être ses juges sont en réalité ses ennemis.
Dans une société de chrétiens « vivant comme si Dieu n’existait pas », la « leçon de Jeanne » était nécessaire, et elle l’est toujours : quand il aurait été si simple d’oublier l’appel de Dieu, quand une simple abjuration semblait capable de lui sauver la vie, elle ne voulut connaître que la fidélité à Celui qui était son seul Seigneur.
Dieu et la France
Son cœur est plein de Dieu et de la France, ses deux amours indissociablement unis en elle. Une des grandes forces de la Sainte de la Patrie est d’avoir su réunir les forces du pays. Avant elle, en pleine guerre de Cent Ans, il y a des Armagnacs et des Bourguignons. Il n’y a plus de Français. Son armée est un ramassis de soudards, Gascons, Bretons, Lombards, Écossais surtout, la plupart n’ayant aucune attache au sol. Jeanne déclare être venue « pour alléger la Patrie ! » Et tout à coup les soldats se prennent à aimer la France. Jeanne s’est fait l’âme de leur âme ; son idéal est devenu leur idéal.
Sa mission consiste à redonner le royaume au roi de France, qu’elle fait sacrer à Reims. Mais il est clair dans son esprit, dès le premier instant, que le vrai Roi de France est le Christ. Elle le déclare incontinent au dauphin Charles dès l’entrevue de Chinon : « J’ai nom Jeanne la Pucelle, et vous mande par moi le Roi des Cieux que vous serez sacré et couronné dans la ville de Reims et serez lieutenant du Roi des Cieux qui est Roi de France. »
Elle reviendra sur ce point de façon solennelle avec ce qu’il est convenu d’appeler la « triple donation ». « Sire, me promettez-vous de me donner ce que je vous demanderai ? » Le dauphin hésite, puis consent. « Sire, donnez-moi votre royaume. » Il hésite de nouveau, mais, tenu par sa promesse et subjugué par l’ascendant surnaturel de la jeune fille, il répond : « Jehanne, je vous donne mon royaume » (1re donation). La Pucelle exige qu’un acte notarié en soit solennellement dressé et signé par les quatre secrétaires du Roi ; après quoi, voyant celui-ci tout interdit et embarrassé de ce qu’il a fait, elle dit : « Voici le plus pauvre chevalier de France : il n’a plus rien. » Puis aussitôt, s’adressant aux secrétaires : « Écrivez, dit-elle : Jehanne donne le royaume à Jésus-Christ » (2e donation). Et immédiatement après : « Jésus rend le royaume à Charles » (3e donation). À partir de ce moment, Charles se décide à entreprendre la campagne du sacre. « Si Charles VII et ses successeurs avaient compris, commente le P. Ayrolles, s.j., ils auraient fait enchâsser le merveilleux parchemin dans l’or et dans la soie ; ils l’auraient entouré de pierres précieuses, car ils n’avaient pas dans leur trésor de diamants comparables. Ils l’auraient relu et médité tous les jours. Non seulement ils seraient aujourd’hui sur le trône, mais l’univers serait dans les bras de Jésus-Christ et ce serait la France qui l’y aurait placé. »
Mais nul souverain n’en fit cas par la suite. Quoi qu’il en soit, l’Ange de la Patrie invite les Français à vivre de la foi catholique et à être unis entre eux. À vivre dans la paix et la concorde. Elle-même était pacifique : elle cherche la paix et ne résout à combattre que lorsque ses offres de paix sont rejetées. Son épée ne quitte pas son fourreau : « et si elle était redoutable pour ses ennemis, […] c’est à peine si elle pouvait retenir ses larmes à la vue des mourants », notera le pape Pie X. Sur le champ de bataille, elle s’abstient de combattre, brandissant son étendard « sur lequel était peinte l’image de Notre Sauveur, assis au jugement dans les nuées du Ciel ». « En nom Dieu, les gens d’armes batailleront, et Dieu donnera victoire », rappelait-elle. Elle interdit la mise à sac des villes. Elle protège les prisonniers anglais et n’hésite pas à descendre de cheval pour accompagner un de leurs blessés et l’aider à mourir chrétiennement. Elle pleure sur les Anglais morts sans s’être confessés et craint pour leur salut éternel. Bref, elle aime tous les hommes, mais chacun à sa place. Et elle éveille à tout jamais le sentiment patriotique dans notre pays.
Dans l’histoire du christianisme, deux femmes seulement, Marie et Jeanne, se sont présentées ainsi aux peuples avec une gloire et une qualité unique. C’est ce dont témoigne Victor Hugo, s’adressant à Marie d’Agoult pour lui dire, lui, son émotion à la lecture de sa Jeanne d’Arc. Vous avez fait là une œuvre, lui écrit-il ; la poésie de la femme traverse l’histoire de l’homme ; il y a çà et là des espèces de chants sublimes. Les deux plus beaux de ces chants, c’est Marie, mère de Dieu, et Jeanne, mère du peuple. Deux vierges qui enfanteront l’une le Christ, l’autre la France.
Par Dominique Le Tourneau et Pascal-Raphaël Ambrogi
- P.-R. Ambrogi et D. Le Tourneau, Dictionnaire encyclopédique de Jeanne d’Arc, Desclée de Brouwer, 2017.
- Le Tourneau, Jeanne d’Arc et l’éveil du sentimentpatriotique royal/national, L’Harmattan, 2020.