Entre Le Caire et le monastère de Saint-Antoine gît un désert de pierres, ou plutôt de caillasses, aussi vide que l’autoroute qui le transperce et partage sa monotonie. Une barre montagneuse rompt l’aridité du paysage pour signaler la proximité du premier monastère de l’histoire.
L’endroit est identique à sa description : portail nouveau mais factice, vestiges du cordage qui élevait les visiteurs jusqu’à l’entrée, robes noires des moines. Rien n’étonne comme l’assemblage de la piété antique, des splendeurs conservées et du toc contemporain. Le Mont Qozlum en Thébaïde a enfanté une belle part de l’histoire.
Chez nous, le visiteur trouverait des raccords voisins mais dépourvus de la théorie d’Éthiopiennes resplendissantes et nus pieds qui égrènent les 2000 marches conduisant à la grotte de l’inventeur du monachisme. L’ivoire de leurs bouches lance des « Good Luck » aussi guillerets qu’humiliants pour nos essoufflements. Elles ont les traits fins et la foi vive, joyeuse, enviable.
Nous avons vénéré les reliques, prié les saints coptes qui résistèrent aux Berbères et salué, en contrebas, un capuchon dissemblable qui excitait les pèlerins alentour. Leur pas universel courait recevoir la bénédiction de l’exilé du monde qui passait là par hasard. Les savants racontent que les saints coptes sont représentés les paumes de main repoussant l’observateur pour signifier qu’ils sont morts au monde. Près de cent trente clercs habitent encore les lieux et leur délégué anglophone, responsable de la clinique, vint nous offrir un bol de riz agrémenté de pommes de terre en sauce. Lui, porte le capuchon aux douze croix au-devant et l’unique croix du christ à l’arrière. Un trait divise aussi le tissu commémorant la découpe du crâne de saint Antoine par le démon et la tentation qu’il défit.
Le plus ancien monastère de la chrétienté
Les siècles conservent les trésors de la foi avec simplicité. Ici la Vierge donne le sein en l’icône centrale de l’entrée d’une chapelle, là le corps intact d’un moine patiente avant la sortie annuelle où les fidèles touchent encore la dépouille. À côté, des femmes sanglotaient et des adolescents rechargeaient leurs téléphones. Quand notre guide retira le tapis qui camouflait les grandes vitres donnant sur les fondations du lieu, des bambins se jetèrent sur les rebords, effrayés par l’effet.
Mgr Nicolas Thévenin, nonce apostolique français au Caire accompagnait une partie de notre visite. L’archevêque partagea nos sourires devant les meules au chômage qui assurèrent l’autonomie du lieu et offrit même sa traduction bienveillante pour les moins anglophones de l’équipée. Au retour, notre chauffeur était charmant et conduisait certainement des Français pour la première fois. Aurions-nous préféré qu’il sût lire et connût au moins la route qu’il devait emprunter ?
La troupe n’était pas en avance. Pour une partie, elle était au risque de manquer le train retour pour Alexandrie où SOS chrétiens d’Orient travaille depuis plusieurs mois. Pour l’autre, la messe au rit chaldéen, abritée dans la cathédrale arménienne catholique, approchait. Le père ne manqua d’aucune attention pour notre groupe. Entre fatigue et dévotion, les volontaires frappés du cœur rajeunissaient beaucoup l’assemblée. Ils détournèrent simplement le regard au moment de l’imposition précoce des cendres, qui attendrait le mercredi pour nous autres latins.
Hosni Moubarak, ancien Rais chû lors des émeutes dites du printemps arabe en 2011, finissait d’être moribond et devait mourir deux jours plus tard, le mardi 25 février 2020. Les analystes occidentaux soulignèrent sa longévité et son éloignement des canons occidentaux de la démocratie dans une perspective originale et profonde. Du moins le crurent-ils. Au monastère de Saint-Antoine-le-Grand, les moines attendaient avec impatience le début du carême. Les visiteurs y seront interdits toute la semaine sauf le samedi et le dimanche et c’est très bien ainsi.