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Un mexicain qui a les crocs

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Un mexicain qui a les crocs

1927, l’écrivain mexicain Martin Solares plonge un jeune policier, Pierre Le Noir, dans le sillage d’un meurtre pour le moins étrange. C’est le Paris de l’après-Grande Guerre, de ces années 20 durant lesquelles les déséquilibres humains nés des tranchées et de la folie de combats furieux et acharnés pèsent encore sur les âmes, au point que les morts ne cessent d’être là, présents, en surplomb. C’est aussi le Paris de la guerre qui vient. De ces deux guerres, Solares ne parle pas. Pourtant, la réalité de la présence monstrueuse de la mort dans les deux cents pages de ce roman à la fois dense et léger – au sens de ces livres dont il est dit qu’il peuvent se lire d’une traite ou avant l’arrivée de l’aurore – est sans cesse là. Elle surgit même de portes improbables. Dans une sombre ruelle près de Montparnasse, on découvre le cadavre d’un homme sûrement assassiné, bien que les causes de sa mort soient étranges, quatorze crocs ornant son cou. Sans compter que sa peau présente une couleur surprenante, difficile à définir, et que, malgré toutes les morsures, le cadavre ne comporte pas de traces de sang. Son corps non plus d’ailleurs, comme vidé. Il n’y a pas plus de sang sur les pavés. Pierre Le Noir est chargé de l’enquête, avec parfois l’aide de collègues aux noms tout aussi colorés. Il appartient à la Brigade Nocturne mais ignore encore ce que cela signifie, cette enquête l’amenant à en saisir les fonctions. Une brigade dont les policiers n’ont pas besoin de dormir la nuit, pas plus que bien des personnages qu’ils côtoient, personnages qui apprécient la nuit délurée parisienne. Les policiers sont spécialisés dans les crimes impossibles à résoudre et leurs méthodes sont bien peu habituelles. Pierre Le Noir, aidé d’informateurs mystérieux, comme surgis du passé, et d’une femme à la beauté étincelante mais au corps souvent vaporeux, se lance donc dans une enquête fantastique dans un Paris des années 20 qui est aussi celui des dadaïstes et des surréalistes, personnages essentiels du roman. C’est une des belles surprises de cette histoire : Solares mêle genres policier et fantastique mais aussi ambiance feuilletonesque telle qu’elle fut à la mode en cette époque dans ces milieux artistiques. Le lecteur croisera ainsi voyants, mages ou hypnose, ainsi que Breton, Tzara, Man Ray, d’autres bien sûr. Les jalousies entre peintres, aussi. Un étrange « zimmenon », journaliste belge promis à un bel avenir… L’écrivain mexicain, pays où la littérature bouillonne, né en 1970, est par ailleurs éditeur. Il a déjà publié un roman, Les Minutes noires, qui a connu un grand succès tant critique que public dès sa parution au Mexique et en Espagne. Solares se joue en fait de tous les codes littéraires habituels, recréant une sorte de monde historico-fantastico-policier qui tient autant de l’imaginaire des surréalistes, éveillés quand ils pensaient vivre en rêve, que de celui du réalisme fantastique donnant ce charme particulier aux littératures sud-américaines que l’Europe aime à lire depuis Borges. Les pages de Quatorze crocs sont de même bourrées d’humour et évocatrices d’images, au point que l’on ne sera pas surpris, au cœur de la nuit, de voir entrer Nadja sans sa chambre de lecteur. La vie réserve de bons moments.

Martin Solares, Quatorze crocs, traduit de l’espagnol (Mexique) par Christilla Vasserot, Christian Bourgeois éditeur, 2019, 200 p, 18 €

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