Le film de Roman Polanski sur l’affaire Dreyfus, a reçu le Grand prix du jury à la Mostra de Venise 2019, le réalisateur est sacré meilleure réalisateur aux prix Lumières de la presse internationale, est fois douze nominés aux Césars… Et il est bon ?
Un long travelling ou plutôt un large panoramique découvrant le lieu où se rend un peloton de quatre artilleurs et soldats en marche dans la cour de l’École militaire ouvre le film. Puis la caméra se fige sur le capitaine Dreyfus qui subit l’outrage et la dégradation : un adjudant de la Garde républicaine lui arrache ses insignes et brise son épée d’officier, devant une plusieurs officiers supérieurs dont le lieutenant-colonel Picquart. C’est le 5 janvier 1895.
Le film retrace avec minutie les périples de l’histoire, de l’enquête, de l’incarcération de Dreyfus au bagne de Guyane sur l’île du Diable et de son procès en réhabilitation.
Rien n’est occulté, et notamment l’antisémitisme affiché du lieutenant-colonel Picquart, qui partage cette opinion avec la plupart des officiers de l’État-Major de l’époque et un nombre encore plus conséquent de fonctionnaires civils.
L’intérêt majeur de cette œuvre est de mettre en valeur la démarche de Picquart, officier impliqué dans cette enquête qui se veut un défenseur absolu de l’honneur de l’Armée française. À ce titre, faisant fi de ses convictions intimes liées à son mépris pour les juifs, il préfère retrouver les valeurs de la justice et surtout l’honneur de sa nation salie par un jugement inique et falsifié.
Pour lui, la France et l’Armée sont en jeu. En ce qui concerne la véritable histoire de cette affaire il s’agit d’un véritable imbroglio entre services d’espionnage et de contre-espionnage.
La fuite d’informations sur nos capacités militaires était patente, donc une enquête était nécessaire et, peut-être avec réserve, le général Saussier donna l’ordre d’informer.
La suite, cinq ans d’incarcération pour Dreyfus, et le procès en réhabilitation. Mais aussi, comme l’avait souligné Bainville, une séparation accentuée entre les forces dites réactionnaires et le pôle progressiste illustré par Clémenceau et Zola.
Au-delà de la grande esthétique de ce film, il faut saluer la reconstitution du Paris de cette époque, sa scrupuleuse minutie en ce qui concerne les costumes, objets usuels et décors.
On notera, en ce qui concerne l’interprétation, la présence de neufs comédiens de la Comédie française et pas des moindres. Certes leur jeu est parfois outrancier notamment en ce qui concerne les antidreyfusards, comme le lieutenant-colonel Armand du Paty de Clam interprété par Michel Vuillermoz, un de nos meilleurs comédiens actuels. Le rôle ingrat du commandant Hubert Henry, personnage clef de l’affaire, auteur du fameux second bordereau falsifié, est remarquablement interprété par Grégory Gadebois.
Les prises de vue de scènes du bagne de Guyane sur l’île du Diable (tournées à Plougasnou dans le Finistère) sont impressionnantes et accentuent le sentiment de solitude et d’abandon de Dreyfus. Enfin la scène finale, qui souligne l’ambiguïté des rapports entre le justicier et la victime, est magistrale. On pourra certes émettre une ou deux réserves, dont la scène où les magasins juifs sont mis à sac dans la capitale, avec des inscriptions haineuses sur la devanture, qui semble plutôt faire allusion aux terribles exactions des nazis à l’aube de la seconde guerre mondiale, rien de tel ne s’étant produit à cette époque à Paris.
Un grand film du talentueux réalisateur Roman Polanski, dominé par l’interprétation de Jean Dujardin qui, abandonnant sa tendance au cabotinage, se révèle un acteur tout en sobriété et maître de son jeu, parfois proche du pathétique. Il nous a semblé retrouver Pierre Fresnay dans La Grande Illusion de Jean Renoir qui à certains égards traitait en filigrane du même thème.