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What is Impeachment ?

Le mécanisme de l’impeachment participe de l’équilibre des pouvoirs. L’utilisation partisane qu’en font les Démocrates est-elle conforme à l’esprit des pères fondateurs ? Et, surtout, est-elle une tactique payante ?

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What is Impeachment ?

Pour les États-Unis, la souveraineté dérive non pas d’un monarque admirable, d’une dynastie vénérable, d’une tradition ancestrale, mais d’un simple texte de 4543 mots (sans les amendements) : la Constitution. Depuis 1788, les États-Unis persistent dans leur folle et utopique idée constitutionnelle, et le pays ne s’en porte pas plus mal. Outre-Atlantique, il est quelquefois surprenant de constater le rôle centralissime joué par la Constitution – rien de semblable n’existe dans un état européen. Le document original, le parchemin signé des pères fondateurs en commençant par John Hancock, est vénéré comme une précieuse relique, et se trouve mieux protégé que les bijoux de la reine dans la Tour de Londres. Le parchemin est enchâssé dans une brique de verre blindée rempli d’un gaz inerte ; cet engin pesant des tonnes est hissé directement depuis le coffre-fort où il repose pour l’admiration du public[1].

Bref, cela n’a rien à voir avec ce texte rédigé par Michel Debré, entré en vigueur en octobre 1958 et conservé dans un placard de l’Élysée – ne serait-ce parce que la Constitution de la Ve République est réinventé en moyenne tous les deux ans et demi (puisque amendé 24 fois depuis 1958).

Il est important de garder en tête le rôle que joue la Constitution des États-Unis dans la mentalité, dans l’imaginaire et dans la pratique des Étatsuniens. En Amérique, toute aventure politique d’importance se réduit in fine à une aventure constitutionnelle – toute grogne, toute révolte, toute tentative de putsch..

L’instabilité dynamique comme principe des institutions

La Constitution, rédigée pour l’essentiel par James Madison et Thomas Jefferson, décrit surtout la division des pouvoirs au sein du gouvernement. Inspirés par le Baron de Montesquieu, un savant engrenage dépèce, sépare, et distribue tous les menus morceaux de puissance entre législatif, exécutif, judiciaire, de telle façon qu’aucune des trois fonctions ne puisse dominer.

POTUSA, le Président des États-Unis, « l’homme le plus puissant du monde », pouvant déclencher heurs et malheurs à travers le monde depuis son bureau ovale de la Maison Blanche, ne jouit pourtant que d’un pouvoir borné et chichement limité – Trump n’a pas les moyens de faire comme un Macron ce que bon lui semble. Mais c’est ainsi que les pères fondateurs l’ont voulu, et le système a le mérite d’être pérenne. La longévité de la Constitution, un document qui n’a pas changé depuis 1788, si ce n’est par l’ajout du Bill of Rights (10 amendement en 1791) et de 17 autres amendements, s’explique en bonne partie par l’interaction dynamique entre les trois pouvoirs : il s’agit d’une rivalité, d’une interférence, d’un affrontement, d’un combat sans merci. Par exemple, le Président Trump ne bénéficie pas d’un « domaine réservé » relevant de la compétence particulière du pouvoir exécutif comme peut en jouir Macron dans le domaine de la défense nationale et la politique étrangère. Tout acte politique de la maison blanche peut être contrecarré par une tentative juridique : un juge fédéral lambda en Californie ou au Nebraska peut bloquer une action du Président afin de la retarder sensiblement. Il faut bien comprendre que cette antagonisme dépasse la rivalité partisane. Tous les Présidents, qu’ils soient Républicains ou Démocrates, ont besoin d’être habiles dans ce jeu d’échec multidimensionnel contre le Chambre des représentants et le Sénat — pour asseoir, conquérir, et calibrer des nouvelles prérogatives, pour conforter quelques « chasses gardées », bref pour faciliter la tâche à ses successeurs. Cette instabilité dynamique est un moteur vital de la Constitution américaine. Entre la maison blanche (pouvoir exécutif) et le capitole (pouvoir législatif), on assiste à un match de boxe ininterrompu depuis 1788.

La tentative d’« Impeachment » du Parti démocrate américain contre le président Trump en constitue le 231e round.

Une procédure mal définie

Les pères fondateurs, dans leur infinie sagesse, ont tout fait pour trouver des remèdes à la tyrannie des majorités démocratiques et du règne de la populace. Certains pères fondateurs, dont Alexander Hamilton, voulurent fortifier le pouvoir exécutif ; en contrepartie, en cas d’abus de pouvoir, ils conçurent un moyen pour 1° mettre en accusation (« impeach ») et 2° juger et éventuellement destituer un président pourtant dûment élu[2]. Mais il était clair dès le départ qu’il suffirait d’un antagonisme politique entre parti du Président et parti majoritaire au congrès pour qu’un mécanisme d’impeachment puisse être utilisé de façon abusive — l’impeachment manigancé par une flopée de parlementaires se substituant à une élection populaire.

Aussi, le concept d’impeachment  est défini en quelques lignes succinctes dans la Constitution : l’ensemble de la procédure est évoquée en quelques bribes de l’article premier (Sections 2 et 3) et de l’article second (sections 2 et 4).

La procédure telle que définie dans la Constitution compte deux étapes :

  1. Le vote de la mise en accusation (Impeachment ), voté par la Chambre des représentants à la majorité simple (la Constitution ne prescrit pas le moindre détail de la procédure d’inculpation, des éventuelles enquêtes préalables, etc.) ;
  2. Le procès (Impeachment trial), qui se tient devant le Sénat des États-Unis présidée par le président de la Cour Suprême (le juge en chef), la décision de culpabilité ne pouvant être acquise qu’à la majorité des deux tiers, soit 67 sur 100 sénateurs.

En mettant la barre très haut (67 sur 100 sénateurs), les pères fondateurs s’assuraient qu’un impeachment aboutissant à une destitution du Président serait extrêmement difficile à obtenir. Une autre façon de protéger la Nation contre les tentatives d’impeachment » frivoles consiste à limiter la procédure aux infractions « Treason, Bribery, or other high Crimes and Misdemeanors » : trahison, corruption, et autres « hauts » crimes et délits.

Un mécanisme dévoyé

Madison, Jefferson, John Jay, et les autres peuvent être fiers de leur œuvre : en 230 ans, il n’y a eu que trois tentatives d’Impeachment », et aucune n’a abouti : Andrew Johnson (1868, inculpé par la Chambre des représentants, exonéré par le Sénat) ; Richard Nixon (1974, le Président a démissionné avant le vote de la mise en accusation) ; Bill Clinton (1998, inculpé par la Chambre des représentants, exonéré par le Sénat).

Par contre Madison, Jefferson et al ont fait un cadeau empoisonné aux politiciens des siècles à venir. En ne laissant que des indices vagues quant à la forme et au fond, l’étape de la mise en accusation de l’impeachment devient une sacrée tentation pour des politiciens dénués de scrupules. L’éminent historien et polémiste Victor Davis Hanson suggère que l’impeachment est en train de devenir une version au rabais de l’ostracisme pratiqué à Athènes : quand un politicien devient trop populaire, hop ! on s’en débarrasse sans façon (et sans avoir à composer avec ces ennuyantes élections toujours si imprévisibles).

En fait ce n’est que l’honneur et la morale qui retiennent les politiciens de crier « Impeachment! » chaque fois qu’ils entrevoient un personnage qu’ils n’apprécient guère Président Républicain. Malheureusement, le Parti démocrate manque d’honneur et de morale.

Il n’y a pas la moindre raison de vouloir entrer dans l’argumentaire avancé par le Parti démocrate pour la mise en accusation du Président Trump. Ukraine, quid-pro-quo, dénonciateur « whistleblower », enquêtes sur la corruption de rivaux politiques qui s’enrichissaient au frais du contribuable, Volodymyr Zelensky… Tout cela n’est que du pipeau. Tout cela n’a pas la moindre importance.

Pour la forme, la Chambre des représentants a procédé quelques semaines à une « enquête préalable ». Puisque la Constitution ne définit pas une procédure de mise en accusation, les avocats Démocrates ont pondu une méthode ne laissant aucun droit à l’accusé (et qui va à l’encontre de l’État de Droit). Pour la forme. Après maintes lamentations, l’air solennel, les parlementaires Démocrates ont formulé un dossier d’accusation très précis. Pour la forme. Au moment où j’écris ceci, dans l’après-midi du 17 décembre, aux États-Unis, l’impeachment est sur le point d’être voté. Que des votes Démocrates : pas un représentant républicain.

Une Bérézina politique ?

Cet impeachment-ci, contrairement au trois précédents, est une affaire strictement politique et ne dépend que des rapports de forces entre les deux partis. Les Démocrates bénéficient d’une majorité à la Chambre des Représentants ; donc le Président sera bien mis en accusation. Les Républicains sont majoritaires dans le sénat ; le procès (impeachment trial) du Président Trump aboutira nécessairement à sa relaxe.

Cet acquittement du Président Trump injustement accablé risque d’être triomphal. Scènes de liesse. Le président, porté sur les bras de ses supporteurs, n’a même plus la chance de toucher terre jusqu’à la victoire électorale de novembre 2020. Il est fort probable que les Démocrates en votant la mise en accusation de Trump garantissent par là sa réélection — d’autant que la procédure de l’Impeachment est nettement perçue par l’électorat comme une tentative de substitution au pouvoir des urnes.

On peut se demander pourquoi les politiciens Démocrates se sont lancé dans cette aventure. Quelques éléments de réponse.

  • Au sein du Parti démocrate les radicaux sont désormais aux commandes ; la grande arnaque de l’impeachment sert à exciter les troupes en préparation des élection présidentielles de 2020. Le parti s’en trouve purifié ; un nouvel élan ; de quoi renforcer les brigades de jeunes militants marxistes.
  • La marque infamante, « impeached ! », pourra être utilisée à tort et à travers contre le candidat à la réélection, Trump, par son adversaire Démocrate.
  • L’opinion publique. L’impeachment est à la une tous les jours depuis des mois : on pouvait espérer inciter des électeurs hésitants à se détourner du Président Trump. Mais cet espoir s’est révélé un leurre. Des sondages (pour ce qu’ils valent) démontrent : une polarisation des électeurs en deux camps, les pro-T et anti-T, qui ne sont pas prêt à changer d’opinion ; et un ras-le-bol quant à l’ « Impeachment » des électeurs non encore décidés. Résultat : au fur et à mesure du processus, les sondages se sont retournées à la faveur du Président Trump, et ce même avant la grande messes d’exonération, l’impeachment trial qui se tiendra dans le Sénat début 2020.

En conclusion, quelques prédictions.

Le prochain Président émanant du Parti démocrate (lequel sera élu sans doute après huit ans de Donald Trump plus huit ans de Mike Pence : c’est à dire pas avant 2032) sera « impeached » immédiatement après la victoire législative des Républicains en 2034, et ne finira pas son mandat.

En fait, à l’avenir, dès qu’un parti d’opposition atteindra la majorité dans la Chambre des représentants il procèdera tout de suite à un impeachment du Président siègeant. Les Démocrates ont cassé le frein de sécurité qu’était censé être l’Impeachment.

Par Robert HUBERT

Écrit le 17 décembre 2019

[1] Depuis que le grand public peut les visiter, les bijoux de la Couronne ont attiré quelque 30 millions de badauds dans la forteresse-musée de la Tour de Londres ; la Constitution, dans la rotonde des Archives Nationales à Washington, quelques 85 millions (1 million par an depuis 1935).

[2] Cf. Alexander Hamilton, écrivant sous le pseudonyme Publius, ses articles dans Le Fédéraliste nº 65, 66 et69, parus en 1787.

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