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Du bon usage de la philosophie

Autrefois, la littérature et la philosophie marchaient d’un pas égal. Descartes et Pascal exprimaient des idées lumineuses dans un français limpide. On se savait encore héritiers d’Athènes, de Rome et de Jérusalem, on en vivait. Deux livres se proposent de nous le rappeler, tout en nous expliquant pourquoi aujourd’hui notre fille est muette.

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Du bon usage de la philosophie

Le premier est un roman de Michel Desgranges, intitulé Les philosophes (éd. Les Belles Lettres). Michel Desgranges, éditeur et romancier, connaît bien le monde des livres. « Retiré du monde pour mieux l’observer », en y étant sans en être, il nous raconte les minables aventures entrecroisées d’universitaires, qui sont à la fois d’aujourd’hui, mais un peu de demain, afin de nous faire saisir où nous en sommes dans les hautes sphères de l’intelligence, et où nous allons si ces messieurs continuent de passer pour des maîtres à penser. Il évoque aussi le fonctionnement de nos institutions, les mécanismes de notre nouveau pays des merveilles, la beauté de nos dirigeants, qui sont tout à la fois des experts spécialisés dans la liquidation des sociétés en faillite, de grands rhétoriqueurs, et de terrifiants sophistes.

J’avoue que j’ai souvent éclaté de rire à la lecture de cette satire mâtinée d’utopie, qui décrit notre société comme si nous n’y étions pas. Car la magie de ce roman, c’est de décrire notre monde, mais vu sous un tel angle, avec un tel sens du mordant qu’on n’y croit pas, qu’on se dit que ce n’est pas possible ! Et pourtant si, c’est possible, puisque c’est dans ce monde de fous que nous tentons de survivre en éclatant de rire, car si le rire est le propre de l’homme, il est encore le dernier recours en cas de désespoir menaçant. Nous ne devrions pas être surpris de nous y trouver, puisque voici 150 ans que Courteline, dans Les Balances, annonçait que les fous avaient pris le pouvoir. Mais on a beau le savoir, on ne s’y fait pas, on continue de croire que ce n’est pas encore vraiment arrivé.

Les savants font des thèses minuscules et désopilantes

Lisons donc Michel Desgranges, ce qui est rendu plaisant par son inventivité sans limites, non pas l’inventivité des délirants qui ont perdu la boule, mais celle des humoristes perspicaces, dans la lignée du père François (non notre Saint-Père, qui sourit peu, mais le moine Rabelais), qui voient le risible où les lourdauds que nous sommes ne voyons que notre ordinaire ennuyeux. Des exemples ? Pour s’informer, on consulte « Pipipedia », pour s’amuser, on flâne « sur Instatonne, Tontube ou Vroumboum » ; les savants font des thèses minuscules et désopilantes, ainsi Gertrude Choumignon est devenue célèbre grâce à une « thèse pionnière sur Gestuelle de la convivialité dans les espaces de restauration » ; quant à Grumelin, elle organise un colloque « sur l’esthétique du déchet péri-urbain ». Ces cocasseries rosses fusent à longueur de pages.

Pourtant, Michel Desgranges est un monsieur grave et savant, qui nous instruit par jeu, tout en construisant un vrai roman, avec moult personnages et intrigues bien ourdies. En dépit de tout, il se montre homme d’espérance, soutenant que le réel béni restera notre maître providentiel. Ainsi Népomucène Bouvillon, modeste enseignant qui rêve de devenir professeur à force de retourner « l’en de l’en-être » dans le but louable de payer ses dettes, répond en attendant à une petite annonce qui demande quelqu’un « pour entretien ». Il croit qu’il s’agit de s’entretenir avec ses employeurs sur « la Morale de l’Être en devenir », mais il s’agit de faire le ménage. Erreur salutaire ! En nettoyant les carreaux, il découvre enfin la réalité sensible, et grâce à elle, sa vraie nature d’homme de ménage. Quant à Anicet Broutard, autre grand maboul, il reviendra enfin à la philosophie véritable en méditant Montaigne et Boileau, ce qui conclut joyeusement cette histoire curative.

Le second livre est un travail de savant sérieux, qui tente de résister de toutes ses forces aux pièges tendus par la folie triomphante. Jean-Marie Vernier, en écrivant L’héritage européen (éd. de L’Homme Nouveau) rappelle comment les penseurs grecs, romains et juifs, médités par un moyen-âge passionné, furent à la source de notre civilisation menacée, et menacée selon lui depuis le XVIIe siècle, dans lequel il perçoit des tensions qui aboutissent à une exténuation de cet héritage. Il montre enfin comment de grands penseurs du XXe siècle nous ont préparé les moyens de nous réapproprier cet héritage. Ce travail n’est pas facile d’accès, bien que l’auteur ait fait de beaux efforts pour se mettre à la portée d’un lecteur honnête homme. Parfois discutable, il reste néanmoins un travail nécessaire, dont on pourra se nourrir pour espérance garder, et œuvrer à restaurer notre cité.

Les quatre premiers chapitres, consacrés à l’apport grec, romain et juif sont lumineux. La Grèce nous a donné la rationalité et la contemplation, fondant ainsi une juste politique. Rome inventa le droit, comprit le sens de la transmission culturelle. Jérusalem nous apporta l’idée de la création, donc de l’histoire, affirma la primauté de l’homme en la corrigeant par la faute originelle, d’où découle l’incarnation, qui rend sa dignité à la nature humaine et lui propose le salut. Méditant ces apports, les penseurs du Moyen-Âge nous enrichirent de la notion de personne, créèrent les études et l’enseignement supérieur. L’auteur a l’excellente idée de soutenir que la Renaissance continue plus le Moyen-Âge qu’elle ne romprait avec lui.

Il faut aller aux livres dont on parle plutôt qu’aux commentateurs

Hélas ! ce qu’il dit de Montaigne, sous l’influence de Pierre Manent, est erroné. Répétant la vulgate frelatée des sachants, il soutient que Montaigne serait un païen, en rupture avec la tradition chrétienne. C’est en cet endroit stratégique que la leçon de Michel Desgranges doit être rappelée : il faut aller aux livres dont on parle plutôt qu’aux commentateurs. Si on craint de ne pas bien entendre le vieux style de Montaigne, il faut faire l’effort de se familiariser avec lui, et, en attendant d’y parvenir, se méfier des mauvaises habitudes scolaires, tout en recherchant l’aide de quelque guide respectueux. Gêné de me proposer pour ce rôle, j’y suis contraint par le fait que je suis un des très rares à avoir fait l’effort de lire l’Apologie de Raymond Sebond comme Montaigne indique qu’elle doit être lue. Si Jean-Marie Vernier s’intéressait à mon Grand coucher de l’universelle vanité (éd F-X de Guibert), il découvrirait, non seulement qu’il a raison de voir dans la Renaissance une continuation du Moyen-Âge, mais encore que cette intuition vaut pour Montaigne.

J’estime également discutable son jugement sur le XVIIe siècle, en particulier sur Descartes. Là encore, il faudrait cesser de répéter les commentateurs, panurgiques ou non, et revenir aux textes : la preuve en est que Jean-Marie Vernier connaît les efforts d’Étienne Gilson pour révéler ce que Descartes a gardé de l’enseignement scolastique, et que, pourtant, il redit sur Descartes les erreurs que Gilson voulait corriger (il faut dire qu’il a lu sa Liberté chez Descartes et la théologie, mais qu’il ignore son Index scolastico-cartésien et les travaux qui suivirent). Le remède est donc de lire Descartes, tout Descartes, car « le jugement se fait sur le tout », ainsi que l’enseignait Bossuet au Dauphin de France.

Ces réserves faites, le livre de Jean-Marie Vernier reste un livre louable, qu’on peut recommander à tous ceux qui veulent s’enrichir de solides arguments, à la fois pour bien comprendre notre tradition, et pour la défendre en conversant avec les incultes de bonne volonté. Quant à ceux qui ne sont pas de bonne volonté – sont donc sans volonté, car la volonté véritable ne saurait être que bonne – inutile de leur adresser la parole ; le dialogue n’est possible qu’avec les êtres doués de raison ; et on ne rend pas la raison à ceux qui l’ont délaissée en faisant appel à ce que, précisément, ils ont abandonné. C’est seulement en acceptant de laver des carreaux qu’ils seront sauvés : Michel Desgranges nous en offre la savoureuse démonstration en forme de fable. Les nuits d’hiver sont longues ; en attendant Noël, allumez les bougies qu’il vous propose, vous y verrez plus joyeusement.

  • Les Philosophes, Michel Desgranges, les Belles Lettres, 2019, 224 pages, 19,50 €
  • L’Héritage européen, Jean-Marie Vernier, Éditions de l’Homme Nouveau, 2019, 25 €

 

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