Par Charles de Meyer, Président de SOS Chrétiens d’Orient
Bien des chrétiens d’Orient possèdent une qualité proprement reconnaissable pour des esprits français : la susceptibilité. C’est une excellente nouvelle pour SOS chrétiens d’Orient qui affirme, dès que nous le pouvons, combien une fraternité mystérieuse nous unit à nos frères aînés dans la foi. En un sens, la théologie se vérifie encore et dévoile la sagesse d’une grâce sanctifiant si bien la nature. À la fin du monde, les Nations comprendront certainement pourquoi Dieu nous offrit ces sangs virulents, propices à l’engagement et aux détestations.
Pour le moment, il faut accepter les malentendus. Comme ces universitaires arabes qui accusent toute personne s’approchant de leurs terres de visées colonialistes ou de préjugés occidentaux. S’ils sortaient de leur crispation ils comprendraient certainement que « à nouveau sous le feu de la rampe, comme en témoigne la recrudescence d’ouvrages de vulgarisation qui leur sont consacrés, ces minorités sont le miroir de cet autre nous-même que nous avons voulu fuir. Un visage dépouillé à son paroxysme de l’humilité, un corps entré dans la kénose » comme l’écrit Tigrane Yégavian dans Minorités d’Orient, les oubliés de l’histoire. Participantes du témoignage universel du Christ, les communautés orientales doivent se réjouir de voir tant de fidèles bénéficier spirituellement et culturellement de leur témoignage. Les martyrs de la Révolution Française nourrirent des résistances chrétiennes dans toute l’Europe, ceux du Levant sont la ressource d’une Église en proie à tous les maux.
Nos nations ne firent pas toujours ce qui convenait à ces chrétientés. Un ami me rappelait l’injustice faite à Sèvres pour les Kurdes et à Trianon pour les Hongrois, et l’illusoire clémence dans la réduction de l’Empire Ottoman.
S’ils se laissent emprisonner dans un discours victimaire, dénonçant de fantasmatiques relents de colonialisme, les chrétiens d’Orient seront prisonniers du progressisme européen, qui confond identité et haine, foi et hystérie, nations et bellicisme. Cette fièvre déconstructrice est particulièrement sensible dans le livre de Josephine Crawaley Quinn, À la Recherche des Phéniciens. C’est une boutade régulière des dîners libanais que de moquer leur attachement à cette origine. En voyant la couverture de l’ouvrage au catalogue, j’imaginai apprendre, découvrir les complexités de ce monde. Et je fus confronté à une démonstration affirmant que le but de l’ouvrage « n’est pas simplement de sortir les Phéniciens d’une obscurité imméritée ; c’est même le contraire, je vais tenter de prouver qu’ils n’ont jamais existé comme un peuple pleinement conscient de lui-même. » Evidemment, il n’est pas donné de définition du peuple pleinement conscient de lui-même, ce qui aurait pu clore des millénaires de philosophie politique.
Il exista un mouvement néophénicien au Liban notamment, et même un journal éphémère, La Revue Phénicienne, à l’aube de la Première Guerre mondiale. Qu’importe que l’Illiade évoque des Phéniciens et que les tombes des marchands établis dans les comptoirs de la Méditerranée évoquent leur ascendance phénicienne, il faut rappeler surtout que d’autres se présentaient comme Cananéens et que leurs tombes n’avaient pas la même graphie. Les archéologues qui se pencheront sur la France du XXIe siècle défendront certainement des positions similaires, rappelant que des traces de sel dans les restes de beurre varient de Sablé-sur-Sarthe à Quimper. Mieux, l’auteur écrit : « C’est seulement sous domination romaine que le Phénicien fut une véritable entité politique ». Mais, encore une fois, cette appréciation fut donnée ad extra, par les Romains : comment s’assurer de la conscience ad intra ?
À se couper les cheveux en quatre, l’université parvient à affirmer qu’une langue largement commune, une origine avérée et une reconnaissance extérieure certifiée dans les textes historiques ne signifient pas l’existence d’une identité d’autant plus que cette identité aurait été utilisée au cours de l’histoire pour des expériences politiques. Crawley Quinn livre d’ailleurs à cet égard une étude intéressante sur la mobilisation de l’imaginaire phénicien chez les indépendantistes irlandais.
Que doivent en retenir les chrétiens d’Orient ? Que les idées de Peuple et de Nation effraient leurs contemporains occidentaux. Et qu’à vouloir défendre leur singularité orientale avec ceux qui interdisent tout héritage civilisationnel en Europe, ils ressemblent à Jonas fuyant son destin à Ninive mais qui y reviendra tout de même y découvrir que la nature humaine n’effraie pas Dieu, qui la sanctifie par sa grâce.
- Tigrane Yégavian, Minorités d’Orient, les oubliés de l’histoire. Le Rocher, 2019, 14,90 €.
- Joséphine Crawley Quinn, À la recherche des Phéniciens. La Découverte, 2019, 25 €