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« Protéger le mode de vie européen » : la question qui fâche

Défendre un mode de vie, c’est reconnaitre qu’il est attaqué. Le dire, c’est supposer un assaillant. Le supposer, c’est le désigner. Ursula, sociale-traitre.

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« Protéger le mode de vie européen » : la question qui fâche

Frau Ursula von der Leyen, habituellement si charmante, si convenable, si politiquement correcte, ne se doutait probablement pas de la tempête politico-médiatique qu’elle allait soulever en proposant un poste de commissaire en charge de la « protection de notre mode de vie européen », en fait des migrants.

On commence à être habitué aux campagnes d’indignation stridente qui sont devenues le mode principal d’expression politique des gens qui comptent, et par là de canalisation de ce qui est autorisé et de ce qui ne l’est pas. Mais là, c’était un modèle du genre. Tout le monde sur le pont ! C’est que pour les opposants, qui couvrent le gros de l’éventail politique hors une partie du PPE, on est dans une « rhétorique dangereuse populiste ». Elle a essayé alors de se défendre en expliquant que « la dignité humaine » faisait partie des « valeurs européennes ». Selon Le Monde, elle a écrit que « le mode de vie européen repose sur la solidarité, la tranquillité d’esprit et la sécurité. Nous devons répondre et apaiser les craintes et préoccupations légitimes concernant l’impact d’une immigration irrégulière sur notre économie et notre société » avant de « plaider pour une meilleure intégration et une plus grande cohésion sociale. Ce qui, poursuit-elle, passe par des réflexions et des actions en matière de formation, de culture, de sports ». Voilà qui se veut rassurant pour notre Landerneau. Mais pas suffisant.

La campagne peut marcher d’ailleurs : rien ne dit que l’aimable Ursula ne va pas céder dans les jours ou semaines qui viennent. Mais quoiqu’il advienne, l’épisode est particulièrement révélateur.

On ne protège que ce qui est attaqué…

L’idée même qu’il faille répondre d’une manière ou d’une autre à une inquiétude manifestement répandue ne passe pas chez les professionnels de la vertu idéologique. Ni a fortiori l’idée qu’on doive “protéger” un “mode de vie européen”. Car si une protection doit être envisagée, quelle qu’elle soit, c’est évidemment qu’il y a quelque chose qui ressemble à une menace, un risque que ce “mode de vie” soit remis en cause ou au moins altéré. Or le commissaire s’occupera des migrants. Et il ne s’agit évidemment pas d’une menace pesant sur les migrants : implicitement, la menace, c’est eux (y compris involontairement). Menace qui selon ce qui est dit paraît viser deux champs : la solidarité et l’économie d’un côté, la société, la sécurité et la tranquillité d’esprit de l’autre. C’est dit gentiment, mais cela va loin. Cela implique logiquement qu’il est concevable que les migrants pèsent sur les systèmes de sécurité sociale, ne soient pas une chance pour l’économie, modifient les données de la vie commune au point de changer notre mode de vie, et créent de l’insécurité, le tout source d’inquiétude grave. Tout cela peut paraître une évidence au citoyen moyen, mais, au niveau bien propret de Bruxelles, c’est nouveau, et plutôt fort de vinaigre. Même le bon M. Juncker était choqué, entre deux verres.

Notons que, ce faisant, aucune action nouvelle n’est envisagée. Ce que l’on comprend, c’est qu’il s’agira de formation, de culture, de sport. À l’évidence au profit des migrants, la culture et le sport adoucissant les mœurs. Mais pas plus. Rien sur le contrôle des entrées. Rien sur une quelconque sélection (ne serait-ce que par rapport à l’économie, puisqu’on en parle). Rien bien sûr sur une demande d’intégration (ne parlons pas d’assimilation). Rien sur des mesures de sécurité. Le contraste entre ce manque total d’ambition réelle et la fureur des protestataires n’en est que plus étonnant. Une seule explication : c’est qu’ils sentent au fond d’eux-mêmes que la meilleure tactique pour eux est de casser le débat à la base. Car dès qu’on commence à parler comme la chère Ursula de « mode de vie européen », de « tranquillité d’esprit et de sécurité », et a fortiori de « craintes et préoccupations légitimes », on n’échappe pas à une série de constatations qui minent le lénifiant discours dominant.

À la recherche du mode de vie européen

Car dans le modèle européen officiel, la question ne se pose pas. L’Union européenne d’aujourd’hui se veut fondée sur un genre de patriotisme constitutionnel à la Habermas : des traités, des procédures, des déclarations de droits universels interprétés par des juges, la concurrence et l’uniformisation des lois et des réglementations. D’ailleurs, dans une tribune ultérieure, destinée à se défendre, la nouvelle présidente se réfère à l’article 2 du traité de l’Union européenne qui définit ces “valeurs communes” : « l’Union est fondée sur les valeurs de respect de la dignité humaine, de liberté, de démocratie, d’égalité, d’état de droit, ainsi que de respect des droits de l’homme, y compris des droits des personnes appartenant à des minorités. Ces valeurs sont communes aux États membres dans une société caractérisée par le pluralisme, la non-discrimination, la tolérance, la justice, la solidarité et l’égalité entre les femmes et les hommes. » Qui donc parle de mode de vie là-dedans ?

Autre piège qu’ont bien senti les censeurs : qu’est-ce qu’on entend exactement par mode de vie européen ? Les traités n’en parlent pas, ils ne parlent que des droits. Et implicitement l’intitulé implique que ce mode de vie européen existe déjà. Or ce ne peut pas être uniquement et directement la sécurité ou la solidarité : c’est donc a priori quelque chose d’autre, qui peut à son tour être source de sécurité ou de solidarité. Une culture ? Une sociologie ? Une manière d’agir ou d’être ? Forcément quelque chose de ce genre. Appuyées sur des lois bien sûr ; mais pas uniquement, puisque ces lois ne suffisent pas à conjurer la menace. De fil en aiguille, on entre alors dans un domaine qui commence à ressembler terriblement à la problématique de l’identité, ou du patriotisme. Mais alors, nouveau danger, que les censeurs connaissent bien : pas plus qu’il n’y a de peuple européen, il n’y a de culture commune ou d’identité (quel que soit le sens donné à ce mot) européenne. Bien sûr il y a des éléments communs, nombreux, mais ce ne sont que des aspects, des ressemblances, un passé en partie commun ; mais cela ne fait pas une représentation d’ensemble comme au niveau national, encore moins une communauté. Concrètement d’ailleurs, si on veut assimiler des migrants, ou même simplement les intégrer, ce sera comme Français, Allemands, etc. ; pas comme “Européens génériques” : cela ne voudrait rien dire. Au mieux, alors, l’Europe viendrait en aide, de façon subsidiaire, à ces communautés qui sont d’abord nationales. Mais cela impliquerait un virage à 180° de l’idée que l’Europe a d’elle-même. Virage qui serait bienvenu d’ailleurs…

Il est hautement improbable que Frau von der Leyen veuille s’engager dans cette voie. Mais comme les censeurs l’ont bien vu, tout se tient. Si elle met le doigt dans l’engrenage, la question maudite va s’accréditer. Il lui faudra aller plus loin, dans une direction qu’ils abhorrent. Alors on pilonne. Préventivement.

par Pierre de Lauzun

Pierre de Lauzun tient un blog d’actualités politiques, économiques et religieuses : ICI

Illustration : Ursula, nom d’un chien ! On avait dit “Rien qui fâche” ! Je ne sais pas ce qui me retient… Et arrêtez de sourire bêtement !

 

 

 

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