Civilisation
Vauban pour toujours
1692, le duc de Savoie franchit le col de Vars, emporte Embrun, puis Gap. Louis XIV demande à Vauban de fortifier le Queyras.
Article consultable sur https://politiquemagazine.fr
André Lichtenberger était encore connu, fut un temps, pour Mon petit Trott, charmant volume faisant parler un enfant, publié en 1898. Il produisit aussi des histoires pour fillettes, la série Nane, publiées dans La Semaine de Suzette et illustrées par Morin. Mais Lichtenberger était d’abord un spécialiste des socialistes utopiques du XVIIIe, sur lesquels il publia en 1898 aussi le très sérieux Le Socialisme utopique, étude sur quelques précurseurs inconnus du socialisme. En 1904, il écrivit un curieux volume, Les Centaures, mettant en scène centaures, tritons et satyres opposés aux humains, race inférieure qui s’impose dans la nature par sa férocité et son habileté. Rosny Ainé a déjà publié des textes préhistoriques, on est en plein symbolisme, et cette antiquité fantasmée ressemble trait pour trait à toute cette littérature anglo-saxonne qu’on appellera fantasy – outre qu’elle renvoie au Doggerland, vaste contrée située entre l’Angleterre et le Danemark et disparue sous les mers il y a dix mille ans à la faveur d’un réchauffement planétaire. Pourquoi évoquer ce livre, et ce genre ? Parce que Lichtenberger propose une vision écologiste, matérialiste et pessimiste de l’humain et de ses rapports avec la nature et, à travers la disparition des centaures, maîtres éphémères de la Nature, décrit l’impossibilité de maîtriser, justement, l’évolution. Dans une préface de 1921 (le livre fut plusieurs fois réédité), marquée par la Grande Guerre, il proclame la nécessité d’avoir conscience que des choses nous dépassent et nous grandissent : « Famille, race [humaine], patrie : si je fortifie en moi la conscience que la nature m’impose de ces réalités, si j’y incorpore assez de moi pour participer à ces existences moins passagères qui conditionnent, enclosent et prolongent la mienne, oui, vraiment, les murailles de ma geôle s’écartent et s’abaissent. » Les Centaures est un roman fascinant par les thèmes qu’il mobilise (évolution, compatibilité interspéciste, maîtrise technologique, équilibres naturels, force et mérites des coutumes, extinction des espèces…) et leur résonnance actuelle, où la famille se désagrège, les traditions sont oubliées, les patries vilipendées – en tout cas en France – et la race humaine dissoute, entre chimères japonaises et transhumanisme californien. Le vieux socialiste, qui avait fait le tour de l’expérience soviétique dès 1923, cisèle, dans une langue évocatrice sans déliquescences fin-de-siècle, une utopie naturelle qui n’a de sens que par sa chute, les industrieux humains éliminant les autres races intelligentes.