La personne de Jean Moulin est propice au débat. Directeur de cabinet de Pierre Cot, ministre du Front Populaire, proche des communistes, revendiqué par les radicaux, employant l’ancien camelot du roi Daniel Cordier, ensuite largement revenu de ses idées, le préfet de Chartres fit moins l’unité qu’on ne le pense souvent.

Ce fut pourtant la mission que lui confia Charles de Gaulle, qu’il accomplit jusqu’à la mort, torturé dans une cellule lyonnaise. Mais Aude Terray n’a pas voulu revenir sur les polémiques. Elle a choisi d’interroger les 18 et 19 décembre 1964, moments de la translation de ses cendres vers le Panthéon. Elle décrit le couple Malraux, souffrant à la mesure des douleurs d’un ministre auteur qui n’écrivait plus et qui vieillissait.

Elle imagine les violences intérieures du milieu résistant : de ceux qui se souviennent de trahisons encore tues, de ceux qui s’engagèrent pour la France et non pour de Gaulle, de ceux qui oscillaient dans leurs souvenirs entre malheurs et honneurs, comme Jean Sainteny ou Etienne Burin des Roziers.

Comme pour ses Derniers Jours de Drieu La Rochelle, Aude Terray mélange les registres, conte les tribulations de son enquête, entre musées et cafés, imagine la tension entre Laure Moulin, la sœur institutrice du résistant, et Antoinette Sachs, sa maîtresse aussi volage que fidèle à sa mémoire.

Une lecture pleine de délicatesse, une lecture qui ose aussi le pari de la complexité humaine là où beaucoup n’acceptent que l’idéologie et la simplification. Un beau livre.

Par Charles de Meyer

Aude Terray, Entre ici, Jean Moulin. Grasset, 2019, 198 p., 17 €