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Les combats de Mel, la légendaire

Déchirée entre devoir et passion, Mel Bonis (1858-1937) transfigura son désarroi pour élaborer une œuvre musicale conséquente méritant redécouverte et réévaluation.

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Les combats de Mel, la légendaire

D‘origine parisienne, fille d’un contremaître en horlogerie et d’une passementière, Mélanie Bonis reçut une éducation religieuse stricte et conserva toute sa vie une grande piété. Sa foi lui permit d’affronter les préjugés de son époque envers les femmes artistes et de surmonter les embûches qui parsemèrent son existence. Dès son plus jeune âge, Mélanie s’escrima sur le piano familial qu’elle parvint à dompter en virtuose. Un cornettiste, ami de ses parents, la présenta à César Franck et – bien que promise au métier de couturière – la jeune fille, douée et déterminée, s’engagea dans la voie de l’art. Au Conservatoire, elle suivit les cours d’harmonie, d’accompagnement au piano (Auguste Bazille) et de composition (Ernest Guiraud). Ses condisciples se nommaient Claude Debussy, Gabriel Pierné et Ernest Chausson. Elle est « la plus forte de la classe, mais la peur la paralyse » estimait son maître Bazille. Elle obtint son premier prix d’harmonie en 1880.

C’est en 1879 qu’elle fit la connaissance d’Amédée Hettich, chanteur et poète dont elle s’éprit. Son premier morceau pour piano, Impromptu (1881), fut signé d’un pseudonyme volontairement neutre : Mel Bonis, afin de s’imposer comme « compositeur ». Alors que son professeur pensait la présenter au Prix de Rome (elle eût pu marquer l’histoire en devenant la première femme à l’obtenir…), ses parents – pour l’éloigner d’Hettich qui avait demandé sa main – la contraignirent à démissionner du Conservatoire et lui imposèrent un mariage de convenance. À 25 ans, elle épousa donc Albert Domange, riche entrepreneur, veuf déjà père de cinq garçons et auquel elle donnera trois autres enfants. À défaut d’amour, elle acquit argent et situation sociale mais sa veine créatrice subit ipso facto une parenthèse musicale d’une décennie. Elle parvint toutefois à concilier obligations familiales et composition. Au cours des années 1890, Mélanie retrouva Amédée, son amour de jeunesse, et collabora activement à sa célèbre Anthologie des airs classiques. De leur rapprochement naquit une fille, Madeleine (1899), dont l’identité resta longtemps secrète. Elle éprouvait un déchirement entre ses sentiments amoureux, son devoir de mère et ses convictions religieuses.

La musique traduit toute beauté, toute vérité et toute ardeur.

Parallèlement, sa notoriété croissait. Les meilleurs musiciens du temps témoignaient de leur admiration. À deux reprises, la Société des Compositeurs lui décerna un prix : en 1898 pour sa Suite pour harpe chromatique, hautbois, cor et violoncelle et en 1905 pour un Trio pour harpe et deux instruments à vent. « Je n’aurai jamais cru qu’une femme fût capable d’écrire cela. Elle connaît toutes les roueries du métier », avoua même Camille Saint-Saëns au sortir de l’audition du Quatuor en si bémol majeur (1905) !

En proie au doute de manière récurrente, hantée par la culpabilité jusqu’à sa mort, Mel Bonis s’attela plus que jamais à l’élaboration de ses partitions, sublimant ainsi sa douleur, transformant par l’art « la souffrance d’une vie paralysée par la morale d’une société aujourd’hui révolue » (Christine Géliot). Elle fut membre puis secrétaire de la Société Nationale de Musique et connut une célébrité certaine. Les Concerts Colonne créèrent sa Fantaisie pour piano et orchestre le 30 janvier 1910 sous la baguette de Pierné. Après la mort de son dernier fils en 1932, affaiblie et déprimée, elle se réfugia dans la musique religieuse, tentant de s’approcher de l’esprit consolateur et de l’amour divin, s’éloignant d’un monde en quête de nouveauté et de frivolité qui la délaissait peu à peu : « Mon grand chagrin : ne jamais entendre ma musique ».

Malgré les aléas de la vie, Mel Bonis nous laisse un important catalogue allant du tragique (La Cathédrale blessée composée en 1915) à l’humour (Symphonie burlesque, Couboulambou à Paris) en passant par l’élévation spirituelle. Il comporte plus de trois cent opus : pour orchestre (la distinguée Suite en forme de valses), musique de chambre, assurément le sommet de sa production (Scènes de la forêt, Suite dans le style ancien), chœurs, mélodies, piano (les sublimes Femmes de légendes,…). Vigoureux et sensuel, son style la situe entre romantisme et modernité. Les harmonies soignées attestent d’une sensibilité exacerbée, les agencements rythmiques soulignent la puissance de son inspiration. Elle parvient à allier un académisme de bon aloi à une émouvante veine poétique, ne négligeant ni le dépaysement exotique (quel raffinement sonore dans l’orchestre du Prélude de la Suite orientale !) ni l’univers enfantin (Scènes enfantines, Miocheries). Elle tomba dans l’oubli jusqu’à la fin des années 1990. Son nom réapparait désormais régulièrement à l’affiche pour le bonheur des mélomanes.

 

À écouter :
  • Mel Bonis, L’œuvre pour orgue par Georges Lartigau, 2 CD Ligia Digital, 2018
  • Mel Bonis, L’œuvre d’orchestre par l’Orchestre Symphonique de Bucarest sous la direction de Benoit Fromanger, 1 CD Le Chant de Linos, 2013.
  • Mel Bonis, Femmes de légendes par Maria Stembolskaia, 1 CD Ligia Digital, 2010

À lire :
  • Christine Géliot, Mel Bonis, femme et compositeur, éditions de l’Harmattan 2000

À consulter : www.mel-bonis.com

Intégrale du corpus organistique. Attirée très tôt par l’orgue, instrument mystique, Mel Bonis assista en auditeur libre à la classe de César Franck au Conservatoire et prit conseil auprès de Gigout ou Letocart pour la registration de ses compositions. 27 pièces courtes et isolées, à destination liturgique, jalonnent le parcours créateur de cette âme ardente. Georges Lartigau, président de l’association des orgues de Rodez, vient de les réunir pour la première fois au disque. Afin de renforcer la cohésion de cet ensemble disparate, il les a habilement agencées en quatre suites selon leurs affinités tonales. L’idée est séduisante, le résultat relativement convaincant. L’artificialité du procédé renforce les qualités intrinsèques de ces œuvres qui ne furent guère conçues pour être jouées les unes après les autres. Leur caractère généralement introspectif et retenu, le jeu consciencieux de l’interprète sur l’orgue Puget de l’église Saint-Amans de Rodez et la prise de son manquant de relief laissent une impression, si ce n’est de grisaille, du moins de spiritualité nostalgique, de langueur méditative très éloignée de la profondeur savante et de la pétillance de l’œuvre profane de Mel Bonis. Les Suites 3 et 4, aux atmosphères contrastées, semblent plus heureusement agencées.

 

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