L’Afrique d’ici vingt ou trente ans concentrera un tiers de la population mondiale et la moitié des moins de 25 ans : s’intéresser à ce continent n’est pas juste affaire de curiosité, c’est une nécessité politique et géopolitique, d’autant plus que nul n’ignore que, du Maroc à l’Afrique du Sud, de la Gambie à la Somalie, le sort de l’occident est en train de se jouer : islam conquérant, richesses disputées, influences contrariées, l’Afrique est le “terrain de jeu” des grandes puissances non alignées, Russie et Chine en tête. Bernard Lugan livre ici une synthèse historique fascinante, qui donne à voir un continent en mouvement constant depuis 8000 ans : les populations se déplacent au gré des sécheresses, occupant ou abandonnant le Sahara et la vallée du Nil, les ethnies apparaissent et se précisent, les empires se créent et s’écroulent. On voit défiler Carthage et les Romains, le Rwanda s’étend du XIVe au XIXe siècle, les Peuls lancent leurs djihads à la fin du XVIIIe : on peut affirmer que Sarkozy, là comme ailleurs, a péché par ignorance et que ce continent est très loin d’être sans histoire. Si l’Afrique bouillonne aujourd’hui, de la Mer Rouge à l’Atlantique, c’est parce que cette histoire, obstinément, continue de former et d’informer les esprits, les politiques, les mouvements, regimbant sous le joug colonial mais n’appréciant pas plus les découpages occidentaux fixant des frontières qui n’avaient aucun sens pour les habitants – sans parler d’une démocratie théorique qui ignorait tout des sociétés africaines, qu’il s’agisse du Gabon ou de la Zambie, des Berbères ou des Bantous, du royaume de Kono ou de celui de Bornou. Bernard Lugan restitue, dans une fresque minutieuse, tous les éléments qui permettent non pas de comprendre mais de prendre la mesure de la question africaine. La part dévolue à la période coloniale et à ses suites constitue la moitié du livre : c’est assez, en revanche, pour comprendre comment les États européens ont réussi – ou non – à se saisir de l’Afrique et à la laisser échapper, les technocrates, déjà, renonçant par idéologie à intégrer les dimensions historiques et religieuses, les racines, des peuples qu’ils entendaient émanciper – de qui, de quoi ? et au profit de quoi ? Les cartes les plus intéressantes sont sans doute celles qui éclairent sur l’empire mamelouk à la fin du XIIIe ou l’empire de Gao, toutes ces fascinantes structures disparues mais fantomatiquement encore actives, les plus nécessaires sont toutes celles qui illustrent les conquêtes arabes (dès les VIIe et VIIIe siècles) et surtout les conflits actuels ou leur prémisses : la Libye de 1943 à 1969, la question du Sahel, l’espace touareg… On peut en faire un guide pratique pour décrypter ce que l’actualité ne cesse de nous présenter et ce que les gouvernements sont bien en peine de maîtriser.

Bernard Lugan, Atlas historique de l’Afrique des origines à nos jours. Éd. du Rocher, 2018, 424 p., 25,90 €.