Civilisation
Vauban pour toujours
1692, le duc de Savoie franchit le col de Vars, emporte Embrun, puis Gap. Louis XIV demande à Vauban de fortifier le Queyras.
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Face au « krach spirituel » de notre temps
En 2017, Érick Audouard faisait paraître la traduction d’une anthologie de textes de Leonardo Castellani (1899-1981), prêtre catholique et écrivain argentin. Plus encore, philosophe, théologien, poète, romancier, critique littéraire, engagé pour la défense des valeurs chrétiennes, ayant pour cela subi persécution, arrestation, prison, silence et censure, y compris au sein d’une Église qui le mit à la porte des Jésuites. Un sacré bonhomme, admiré de son traducteur et introducteur en France. Castellani est une grande figure des lettres argentines, de ces contemporains méconnus dont l’œuvre va grignoter la loi du silence régnant en Europe à l’encontre des non-conformistes, loi elle-même silencieuse qui s’exerce au nom d’une prétendue tolérance. La démocratie libérale est une tartufferie très réussie. À Leonardo Castellani, surnommé « le curé fou », il est aisé de prédire un avenir proche de celui de Nicolas Gómez Dávila, dont les Horreurs de la démocratie et ses diatribes en forme d’aphorismes continuent d’influer, du moins sur quiconque ne choisit pas de collaborer en marche. C’est que, pour Gómez Dávila « Qui ne tourne pas le dos au monde moderne se déshonore », un monde moderne qui serait, de son point de vue, « un soulèvement contre Platon ». C’est de bois de cette nature, c’est-à-dire de haute volée, dont Castellani se chauffe aussi, au fil d’articles traitant de sujets divers mais s’insurgeant toujours contre l’inhumaine trahison de l’âme qu’est la modernité dans laquelle nous sommes englués.
C’est sur ce point précis qu’il sera alors nécessaire de lire le très bel opus personnel d’Érick Audouard, Comprendre l’Apocalypse. L’écrivain a lu en complicité Castellani et René Girard, qu’il affirme être ses « boussoles intellectuelles », ici, trouvant points communs, préoccupations proches et nourriture dans leurs œuvres. Avec cette double lecture en toile de fond, Audouard offre une réflexion et un livre très personnels sur le moment que nous vivons, moment qui pour être appréhendé demande justement de « comprendre l’Apocalypse », ou tout du moins de s’interroger sur la signification d’un événement à venir, et certainement déjà là, auquel peu d’entre nous, sinon Gómez Dávila ou Castellani, prêtent attention de leur vivant – par souci de survie individuelle, sans aucun doute. Observant notre époque, appuyé sur les œuvres de Castellani et de Girard, Érick Audouard montre combien difficile est l’actuelle prise de conscience de la mortalité de l’espèce humaine et peut-être de la vie dans un monde qui s’est fondé, en modernité, sur la fabrication d’images et d’illusions visant avant tout à éviter de regarder le tragique de l’existence en face. Tout est subterfuge et violences faites à quiconque s’en émeut, dans un monde sémantiquement diabolique – diabolos, le « calomniateur ». Un état généralisé de l’esprit, selon Audouard, qui, faisant écran à la vérité, une vérité qui a une existence bien réelle, sans quoi il ne serait pas nécessaire de la masquer, fait dans le même temps écran à sa révélation, autrement dit à cet « Apocalypse » dont le sens véritable est justement « révélation » – et non destruction, même si l’une ne va pas sans l’autre. C’est ainsi de tout le poids, l’extraordinaire et scandaleuse pesée de la révélation chrétienne, de l’advenue du Christ avec et en nous, afin de nous prévenir de ce que nous nous échinons à masquer et à nous masquer sans cesse ; telles sont les lignes tracées par un écrivain qui, pourtant plongé sur des pensées ayant trait au tragique et à l’espérance, sans quoi point d’apocalypse, manie les mots non sans un humour fort d’un certain détachement, le recul sain de qui se sait avoir la foi, cette évidence simple. Ce dont le monde a besoin, au fond, c’est de sainteté, Audouard le laisse entendre ainsi que Bernanos autrefois, c’est-à-dire d’une reprise, celle du réel, de notre réel, en conscience afin de regarder au-delà de ce « krach spirituel » dans lequel un monde d’images ose nous plonger, souvent avec notre malheureuse complicité.