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« il faut miser sur la création d’une société parallèle conservatrice » 

L’Europe a des traditions communes, dont la chrétienté. Les renier, c’est la condamner à se dissoudre. Face aux forces progressistes qui veulent changer de civilisation, on peut tenter de construire une autre Europe politique. Entretien avec David Engels.

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« il faut miser sur la création d’une société parallèle conservatrice » 

Dans l’ouvrage que vous avez dirigé et publié dans plusieurs langues, Renovatio Europae (Cerf, 2020), vous plaidez pour une orientation nouvelle de la civilisation européenne, que vous nommez « hespérialisme » (c’est-à-dire occidentalisme). Pourriez-vous définir ce concept pour nos lecteurs ?

L’Europe – la véritable, non celle de Bruxelles – doit s’unir pour résister aux nombreux dangers venant de l’extérieur (les nouveaux empires-civilisations, comme la Chine) et de l’intérieur (la bienpensance). Le terme « hespérialisme » est dérivé de la désignation antique pour l’extrême ouest du monde connu et veut exprimer un patriotisme culturel basé sur l’amour de notre civilisation européenne commune. Défense de la famille naturelle, régulation sévère de l’immigration, retour à la Loi Naturelle, protection d’un modèle économique socialement responsable, implémentation radicale du principe de subsidiarité, renforcement des racines culturelles de notre identité et renouveau de notre sens de la beauté – voici, en quelques mots, les bases d’une nouvelle Europe « hespérialiste ».

Quels seraient à vos yeux les principaux moyens concrets, ou leviers essentiels, pour permettre l’avènement d’une nouvelle Europe ?

L’on pensera évidemment, tout d’abord, aux institutions : il faut mettre un frein au centralisme bruxellois et revenir à une saine subsidiarité, où seules les tâches fondamentales pour la survie de notre civilisation européenne devront relever des compétences communes (défense de la frontière extérieure, lutte contre la criminalité, extension des voies de communication, aide à la recherche, accès aux matériaux stratégiques, etc.).

Mais, plus important encore, l’Europe doit rompre avec la bienpensance et développer à nouveau une relation positive et constructive par rapport à notre héritage culturel. Il faut en finir avec la dégradation de l’humain par le transhumanisme et le collectivisme ainsi qu’avec la relativisation pathologique de la normalité et de la tradition au profit des innombrables exceptions et minorités réelles et imaginaires, tout en revenant à un sain patriotisme culturel fondé sur l’amour de notre patrimoine spirituel autant que matériel – et sur la volonté de le défendre.

Car si nous voulons créer une véritable solidarité entre Européens, il faut plus que le recours aux simples droits universels que nous partageons avec de nombreuses autres nations en Asie et en Amérique : il faut insister sur ce qui rend l’Europe spécifiquement européenne, donc sa tradition chrétienne et sa vision unique de la famille, de la tradition, de la nation, etc.

Faites-vous une place particulière au christianisme, voire plus précisément à chacune des grandes églises – catholique, protestantes, orthodoxe – dans cette renaissance de l’Europe ?

Absolument. Le christianisme est l’âme de la civilisation européenne, sans lui, l’Europe est vouée au déclin et à la disparition. Dès lors, toute réforme conservatrice doit impliquer un retour à une attitude constructive et positive face à cet héritage – au moins par patriotisme, comme c’est d’ailleurs déjà le cas maintenant, où le catholicisme traditionnel exerce de plus en plus d’attraction sur les milieux identitaires partout en Europe.

Car évidemment, en tant que spenglérien, je ne crois malheureusement pas en une véritable « renaissance » de l’Europe, car après son histoire millénaire, ses forces semblent largement épuisées. Mais du moins, comme je l’ai montré dans mon livre « Le déclin » (Le Toucan, 2013), je reste persuadé de la possibilité d’un genre de restauration politique et religieuse « augustéenne » ; un affermissement impérial final, bien que nostalgique et rétrospectif, garantissant la survie, en tout cas pour quelques siècles, d’une civilisation de plus en plus pétrifiée, mais non moins vénérable, et pouvant transmettre sa sagesse et donc aussi la profondeur de ses convictions religieuses au futur.

Le président français, Emmanuel Macron, et la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, alliés dans une volonté de développement des pouvoirs de l’Union européenne, vous semblent-ils aller vers cette nouvelle Europe ou au contraire faire peser des menaces sur elle ?

L’UE actuelle, telle qu’elle est représentée par l’élite gouvernementale actuelle (que ce soit en France, en Allemagne ou à Bruxelles), est en train de devenir la pire menace pour la véritable Europe. Le mondialisme, le multiculturalisme, le « socialisme des milliardaires », le constructivisme social, l’antichristianisme, la théorie du genre, la bienpensance tout comme le nihilisme qui résulte de toutes ces tendances, sont en train d’éradiquer ce qui reste encore de notre civilisation, comme je l’ai encore expliqué récemment à Strasbourg lors d’un débat organisé par le groupe parlementaire ID à l’occasion de la présentation des conclusions de la « Conférence sur le futur de l’Europe », projet phare de Macron et von der Leyen.

Emmanuel Macron, qui préside actuellement le Conseil de l’Union européenne, a plaidé récemment pour un allègement des procédures de décision au sein de cette instance interétatique. Il souhaite, en particulier, qu’une procédure de vote à la majorité qualifiée remplace la règle de l’unanimité. Avez-vous une position sur ce point technique ?

Si nous observons l’histoire, nous constatons que l’obligation d’unanimité n’a été que très rarement bénéfique. L’empire polono-lituanien, par exemple, a été l’une des victimes les plus connues de ce problème, car le droit de veto de tout membre de l’assemblée aristocratique dirigeant cet État a rendu impossible toute réforme et est donc responsable des partitions polonaises qui suivirent – culminant en la dissolution entière du pays. Ceci dit, il faut également reconnaître le risque de « tyrannie de la majorité » analysé de manière si lucide par Tocqueville.

Donc, dans la constellation actuelle, marquée par la domination des institutions européennes par des forces dont le but ultime semble le démontage de tout ce qui reste encore de sain et authentique dans notre civilisation, je m’opposerai farouchement à toute généralisation du vote majoritaire (tout comme au projet d’une armée commune), car il est hautement probable que les conservateurs en feront les frais. En revanche, si l’Europe pouvait revenir au bon sens, ma position changerait très probablement.

Dans le débat sur la forme constitutionnelle que devrait prendre l’Europe à l’avenir, prenez-vous position en faveur d’une forme précise, confédération ou fédération ?

Au fond, ces mots ne veulent pas dire grand-chose, car ils peuvent cacher tant de réalités et de nuances différentes et dépendent tellement, dans leur application quotidienne, de l’esprit général des citoyens qui les portent. Une bonne constitution, s’appliquant à un peuple dépravé et immature, peut mener au désastre ; une mauvaise constitution, interprétée de manière sage, peut mener au succès.

Cela dit, je ne suis pas de ceux qui croient que l’État-nation est le mot final de l’histoire mondiale, car au contraire, face à la montée de la Chine, l’explosion démographique de l’Afrique, les relations difficiles avec la Russie et la radicalisation du Proche Orient, nos nations ont plus besoin que jamais de s’associer afin de défendre leurs intérêts et leurs identités. De plus, les nations européennes ont cessé graduellement d’être des unités homogènes et autarciques, car elles sont devenues non seulement de plus en plus interdépendantes, mais aussi divisées intérieurement, que ce soit sur le plan infrastructurel (pensons à la dichotomie immense entre métropole et province) que culturel (pensons aux anywhere et aux somewhere).

Je suis persuadé que l’Europe a besoin d’une véritable constitution afin de mettre un frein à l’expansionnisme bureaucratique et idéologique de Bruxelles et afin de fixer enfin, par écrit, les valeurs constitutives de l’identité européenne, et j’en ai même formulé une esquisse dans mon Préambule pour une confédération de nations européennes commandité par l’ECR (et présenté dans mon ouvrage Europa Aeterna). Mais afin de rendre compte des nouvelles réalités de l’Europe du XXIe siècle, une telle constitution devrait non seulement restituer la place des États-nations comme véritables noyaux de la démocratie européenne, mais aussi permettre plus de subsidiarité pour la gestion des régions et des métropoles, ce pourquoi je fais souvent référence au fédéralisme du Saint-Empire comme le modèle idéal d’une Europe future.

Du point de vue de l’action politique, appelez-vous à la mise en place d’une sorte de réseau d’organisations conservatrices dans l’ensemble de l’Europe, au profit du projet « hespérialiste » ? Si oui, pensez-vous à des cercles métapolitiques ou plutôt à des partis présents aux élections ?

Je crois que le combat doit être mené à des niveaux multiples. C’est pourquoi je tente d’œuvrer, depuis des années, à la formation d’un grand groupe parlementaire pan-européen conservateur pouvant fédérer ces forces et les pousser à dépasser leurs anciens griefs et se focaliser sur les questions qui importent vraiment aujourd’hui – car il ne s’agit de rien moins que la survie de notre civilisation. Dès lors, j’espère que les discussions actuelles entre certains partis du ECR* et de l’ID aboutiront enfin à des résultats tangibles.

Mais évidemment, au moins en Europe occidentale, face au poids immense de l’alliance libérale-gauchiste dans la politique, les médias et l’éducation, les possibilités politiques sont réduites pour le moment, et il faut dès lors miser massivement sur la création d’une « société parallèle » conservatrice, comme j’ai tenté de le montrer dans mon livre Que faire ? (Groningen, 2019).

Dans l’actuel conflit russo-ukrainien, vous avez choisi de vous ranger résolument du côté de l’Ukraine. Ne pensez-vous pas qu’il y ait un risque d’américanisation accrue de l’Europe, et par là de perte supplémentaire de substance, dans le processus de soutien à l’entrée de l’Ukraine dans l’OTAN et l’UE ?

Tout ce qui m’intéresse, c’est la survie et la grandeur de la civilisation européenne. C’est à elle que va mon entière allégeance. Dès lors, je ne suis ni atlantiste, ni russophile, et je ne peux donc que déplorer le manque d’intérêt et de solidarité de la part des gouvernements français et allemand face à l’invasion de l’Ukraine (un État dont l’immense majorité des citoyens souhaite depuis des années rejoindre l’UE) et la naïveté géopolitique avec laquelle l’on semble prêt à laisser ce pays d’importance capitale pour l’économie de notre continent être ruiné et même annexé par la Russie.

Certes, dans l’état actuel des choses, un renforcement de l’OTAN implique aussi un renforcement de l’influence américaine en Europe, et je suis conscient du danger que cela représente politiquement et idéologiquement pour notre continent. Néanmoins, je ne crois pas que l’influence russe serait plus bénéfique pour notre continent ; tout au contraire, comme vous le confirmeront tous ceux qui ont vécu du mauvais côté du rideau de fer. Et puis nous ne pouvons en vouloir qu’à nous-mêmes d’avoir raté tant de possibilités de mettre sur pied une vraie défense européenne. Si l’Europe veut survivre, elle doit se sauver elle-même.

Dans cette perspective, il est intéressant de prendre en compte qu’une intégration européenne de l’Ukraine (et, qui sait, de la Biélorussie) mènerait à la formation d’un nouvel espace géostratégique uni entre Baltique et Mer Noire tel qu’il a existé pendant des siècles sous l’empire polono-lituanien. Une telle alliance, portée par le conservatisme et le patriotisme qui définissent les citoyens de cette région, pourrait devenir un véritable contrepoids au libéral-gauchisme des gouvernements français et allemand et constituer le noyau d’une reconquête identitaire européenne.

Quel regard portez-vous sur les demandes d’entrée dans l’OTAN de la Suède et de la Finlande, actuellement menacées par le véto de la Turquie ?

Tout d’abord, il est clair que la Turquie a de moins en moins sa place dans les structures militaires, politiques et économiques qui définissent l’espace européen : il faut se rendre à l’évidence qu’en tant que nation musulmane, elle peut être un partenaire intéressant, mais qu’elle n’a pas de rôle à jouer dans les décisions vitales concernant la survie de notre civilisation – cas très différent de la Suède et la Finlande. De plus, accroître la présence européenne au sein de l’OTAN ne peut que changer l’équilibre du pouvoir au profit de notre continent – si nos dirigeants se décidaient enfin à abandonner la léthargie et l’hypocrisie avec lesquels ils se reposent sur le pouvoir militaire des États-Unis tout en critiquant allègrement leur impérialisme…

Vous avez fermement condamné la guerre déclenchée en Ukraine par la Russie. Avez-vous une position géopolitique vis-à-vis de la Russie ? Quelle serait la place de cette dernière dans la perspective d’une Europe « hespérialiste » ?

Comme Spengler et Toynbee – et la plupart des Russes eux-mêmes –, je suis de plus en plus persuadé que la Russie ne fait pas partie de la civilisation occidentale, mais constitue bel et bien une civilisation en elle-même, peut-être même plus jeune et plus résiliente que la nôtre et, en dépit de quelques racines communes, basée sur des paradigmes spirituels et culturels fondamentalement différents, comme c’est aussi le cas de la Chine, de l’Inde, du monde musulman, etc. (ce qui n’implique d’ailleurs aucun jugement de ma part).

Dans cette perspective, la Russie n’est pas un État-nation européen comme un autre et ne le sera jamais : c’est un monde à part, un État-civilisation qui défendra toujours farouchement son autonomie et sa spécificité et ne se laissera jamais « intégrer » comme cela a pu être le cas pour les autres nations de l’UE. Dès lors, même à long terme, la place de la Russie ne pourra jamais être celui d’un État-membre sur le même pied que la Pologne, l’Allemagne ou la France, mais au mieux celui d’un allié stratégique, notamment dans la lutte contre la lente infiltration de la Chine en Sibérie et sa tentative de contrôle de ressources stratégiques qui, pour nous aussi, sont du plus haut intérêt.

Propos recueillis par J.-L. Coronel de Boissezon

  • European Conservatives and Reformists, groupe des conservateurs et réformistes européens regroupant les partis “de droite” disposant d’un groupe au Parlement européen et à l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, comme le PiS polonais, le Vox espagnol, etc. Le Rassemblement national n’en fait pas partie mais a rejoint le groupe ID (Identité et démocratie), avec la Lega italienne, l’AFD allemande.

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